1
La linguistique : aperçu historique La linguistique moderne n'est pas sortie tout armée du cerveau de quelques savants, mais s'est élaborée et s'élabore, aujourd'hui plus que jamais, grâce à une réfe ré fexio xion n cri critiq tique ue sur sur de des not notion ions, s, de dess con concep ceptio tions ns qu'ell qu'elle e a héritées d'une longue histoire (plus histoire (plus de deux millénaires dans notre aire grécolatine!" #l est na$% de croire que le regard qu'on jette sur le langage puisse &tre innocent, coupé de tout passé en réalité, ce regard est toujours situé" omment saisir par exemple les %ondements de notre grammaire traditionnelle, si l'on %ait abstraction des cadres de pensée grécolatins ) *oute * oute esquisse historique, m&me sommaire, doit comb co mbat attr tre e l'im l'impr pres essi sion on que que l' l'ét étud ude e du la lang ngag age e se développe dans un monde d'idées pures et selon la ligne d'un progr+s continu continu en %ait, cette étude est indiss sso ociable des so socciétés dans lesqu squelles elle s'élabore, étant toujours liée, plus ou moins explicitement, à une philosophie, à un certain t-pe de relatio ation n aux tex textes tes (li (littér ttérai airres es,, religie igieux ux,, etc" tc"!" .utrement dit, l'acc+s à la langue se réalise à travers un ensemble de pratiques sociales (dont ( dont les pratiques scolaires! qui délimitent le champ à l'intérieur duquel il peut s'exercer"
1. De l'Anti l'Antiqui quité té au compa comparat ratism isme e /'il est tr+s di0cile d'assigner un commencement à la linguistique (le mot luim&me n'existe qu'à partir du #2 si+cle!, on retient souvent tr troi oiss gr gran ands ds 13
1
moments dans l'histoire des théories du langage en 4ccident la grammaire grecque, la grammaire comparée au début du #e si+cle et la linguistique structurale au début du e" A. La grammaire antique
La réfexion linguistique rigoureuse la plus ancienne est sans conteste celle des grammairiens hindous, 5anini en particulier, qui ont anal-sé le sans6rit" 7ais, dans notre culture, la réfexion sur le langage est solidaire du mode de pensée dé8ni par la civilisation grecque classique s'- est développée une appréhension rationnelle du langage qui, hors de tout cadre m-thique ou religieux, vise à l'anal-ser comme une organisation spéci8que" #ci, l'on distinguera deux approches tr+s di9érentes le point de vue rhétorique, lié à l'émergence de la sophistique, et le point de vue logique" * La rhétorique et la logique
La constitution de la démocratie grecque a %ait passer au premier plan le souci de la persuasion politique, rendant nécessaire l'apparition de techniciens de la parole, les sophistes" :ans leur volonté de %ournir à leurs él+ves les mo-ens de ma;triser le verbe, ils ont été conduits à envisager le langage comme un instrument dont il était possible d'anal-ser et de codi8er les ressources" e courant de la parole e0cace aboutit à la
3?? av" @" !, qui exerAa une infuence décisive sur toute la culture occidentale" 5arall+lement à cette approche qui voit dans le langage un mo-en d'agir sur autrui, se développe une réfexion philosophique 13 ?
qui tente d'articuler langage et vérité" ette %ois, il s'agit de mettre en relation la structure du langage et celle des propositions par lesquelles l'esprit énonce des jugements vrais ou %aux sur le monde" Là encore, il %aut citer l'Buvre d'.ristote, qui insiste sur la complémentarité %ondamentale entre CsujetD et C prédicatD" E L'héritage alexandrin 5eu à peu, va se dégager une réfexion plus proprement grammaticale, plus soucieuse de l'articulation e9ective des langues naturelles, en particulier avec les grammairiens d'.lexandrie (Fg-pte!" .insi :en-s de *hrace (1GH à IH av" @""! écritil la premi+re grammaire s-stématique de la culture occidentale, oJ il distingue des parties du discours (article, nom, pronom, verbe, participe, adverbe, préposition, conjonction!, encore valides aujourd'hui" 7ais cheK ces .lexandrins l'intér&t pour la langue est luim&me souvent subordonné à un intér&t philologique rendre lisibles les textes littéraires prestigieux, les Buvres d'om+re surtout, dont la langue était de plus en plus éloignée du grec couramment pratiqué aux ###e et ##e si+cles" E Philosophie du langage et grammaires Les Mrecs nous ont également légué deux des grands débats de philosophie du langage qui ont traversé toute la culture occidentale" Le premier oppose ceux (les CanalogistesD grammairien de l’Antiquité qui considérait que le grec et par conséquent toutes les langues présentaient un caractère fondamentale de régularité, par opposition 13 3
à l’anomaliste! qui pensent que la structure de la langue est réguli+re et peut donc %aire l'objet d'une science, à ceux (les C anomalistes D! qui n'- voient qu'un agglomérat d'usages arbitraires" Le second débat oppose les tenants d'une relation naturelle entre les mots et la réalité (tel mot par exemple a tel sens parce qu'il est composé de tels sons! à ceux qui, tel .ristote, pensent que le rapport entre les signes et ce qu'ils désignent (leur C ré%+rent D! est conven tionnel, immotivé (arbitraire, gratuit!" Les Latins ont transmis les travaux des Mrecs, d'autant plus aisément que la structure du latin était asseK proche de celle du grec" :ans la mesure oJ la grammaire grecque privilégie la morphologie (c'està dire l'étude du mot, considéré avec ses diverses désinencesNsu0xes grammaticaux!, il %allait que la langue latine dispose également de déclinaisons (ad Ae6imi! pour que le passage de l'une à l'autre puisse s'opérer %acilement" Le grammairien latin le plus remarquable est Oarron (#er si+cle av" @" !, auteur d'un De Lingua latina" :onat (vers >HH! et 5riscien (vers PHH! sont auteurs de manuels d'enseignement du latin classique (celui de icéron! qui %eront autorité jusqu'au O##e si+cle en Furope" Q" La grammaire médiévale Le %ait qui domine cette époque est la prépondérance absolue du latin sur la vie culturelle" Les grammairiens médiévaux ont a0né la grammaire latine .lexandre de Oilledieu, par exemple (vers 1?HH!, en a %ait un résumé versi8é à des 8ns pédagogiques qui conna;tra un immense succ+s" L'essentiel de l'apport médiéval réside dans le 13
>
développement, au ###e si+cle, d'une théorie philoso phique de la signi8cation qui débouche sur une grammaire spéculative (spéculative, parce que la langue - est le miroir, spéculum en latin, de la réalité!" es philosophes, dits modistes (modacR!, s'intéressent aux modes de signi8cation, aux principes universels selon lesquels le signe linguistique est lié au monde et à l'esprit de l'homme" 5our eux, la grammaire est la m&me dans toutes les langues, qui ne di9+rent pas dans leur CsubstanceD mais dans leurs CaccidentsD" " La grammaire humaniste La
%ormes, aux usages de la langue" 'est là un empirisme qui s'exerce aux dépens d'une recherche des principes généraux" Le développement des vo-ages, des échanges commerciaux, des explorations et de l'évangélisation am+ne l'Furope à conna;tre des idiomes tr+s divers, dont les dictionnaires pol-glottes constituent des répertoires essentiellement dévolus à %avoriser la communication" D. La grammaire classique
U partir du O##e si+cle se codi8e progressivement la notion de CbelD ou de Cbon usageD, en particulier avec le ren%orcement du centralisme monarchique et le développement concomitant d'une vie de our" Tn gentilhomme, Oaugelas, avait publié en 1S>G des Remarques sur la langue française érigeant en norme du bon langage l'usage de la our et de quelques cercles privilégiés" Tn tel point de vue, qui est un peu l'antith+se de la tendance rationaliste (5ort!" 13 S
:ans le domaine proprement grammatical, l'ouvrage qui marque cette époque est la Grammaire dite Cde 5ort
. !omparatisme et linguistique historique 13
G
.u début du #e si+cle se produit une mutation dans la réfexion grammaticale (bien qu'elle n'ait pratiquement pas eu d'infuence sur l'enseignement!" /i, à l'époque classique, le langage anal-sait la pensée, au #e si+cle, il devient un organisme grammatical soumis à l'histoire" Le %ait capital de cette mutation est constitué par la reconstruction de *’indo+européen, restitution corrélative d'une méthodologie, le comparatisme" A" Le comparatisme
Fn 1G=S, l'.nglais V" @ones émet l'h-poth+se que le sans6rit (ancienne langue sacrée de l'#nde!, présentant des ressemblances %rappantes avec le latin, le grec, le celtique, le persan, etc", avait la m&me origine" :e multiples recherches %urent réalisées dans ce sens, et si l'.llemand W" /chlegel di9usa ces idées dans son livre ur la langue et la sagesse des *ndiens (1=H=!, ce %urent les travaux de W" Qopp et <"
d'autres, la notion vague et préscienti8que de CressemblancesD entre langues %ait place à une méthodologie de plus en plus rigoureuse et précise" #" $omantisme et mod%le &iologique
Les productions culturelles de cette époque attestent une prise de conscience aiguY de l'historicité et l'exaltation, corrélative de l'éveil des nationalismes, des passés nationaux, des Cantiquités nationalesD" Les littératures populaires suscitent un grand intér&t, dans la mesure oJ l'on pensait atteindre à travers elles Cl'âme pro%ondeD des peuples, le vouloir d'une nation soumise à une destinée historique, porteuse d'une mission" :ans cette perspective se développe un intense travail philologique sur les contes, légendes, épopées, etc" Tne infuence en quelque sorte opposée, mais tout aussi capitale, s'exerce sur l'étude du langage celle des sciences de la nature, alors en pleine mutation, avec uvier, :arZin, etc" :+s 1=H=, W" /chlegel écrivait CLa grammaire comparée nous %ournira des solutions absolument nouvelles sur la généalogie des langues, de la m&me mani+re que l'anatomie comparée a répandu un grand jour sur les parties supérieures de l'histoire naturelle"D Le contexte scienti8que de cette époque %avorisait cette analogie la langue est considérée comme un organisme en évolution constante, qui na;t, se corrompt et meurt, en suivant des lois comparables à celles des &tres vivants" L'indoeuropéen est d+s lors conAu comme une langue m+re, dont dérivent des langues 8lles, puis des Clangues petites8llesD, etc" :eux noms s-mbolisent ces grandes tendances du xixe si+cle V" von umboldt (1GSG1=3P! et ." 13 I
/chleicher (1=?11=S=!" Le premier consid+re la langue comme une %orme d-namique qui %aAonne la pensée, exprimant et organisant indissolublement l'âme des peuples et leur vision du monde" /i umboldt place au centre le d-namisme, la liberté de l'esprit, son pouvoir créateur dans l'exercice du langage, /chleicher, à l'inverse, consid+re la langue comme un organisme biologique elle n'est pas tant un %ait social qu'un &tre de la nature, soumis à la nécessité d'une évolution, aux lois phonétiques" Fn 1=SP, il publiera un ouvrage au titre signi8cati% La *héorie darZinienne et la science du langage" !" La n du xixe si%cle
Fntre 1=PH et 1=GP, la phonétique (étude de la production et de la substance ph-sique des sons du langage! subit de pro%ondes trans%ormations et tend à devenir une véritable science expérimentale, avec des savants comme elmholtK,
patois galloromans, publia entre 1IH? et 1I1H un .tlas linguistique de la Wrance accompagné de centaines de cartes géographiques, qui devait susciter des imitations dans l'Furope enti+re" Oers 1=GP se %orme à LeipKig un groupe de jeunes linguistes (Qrugmann, 4stho9, " 5aul, etc"! qui prennent le nom de CnéogrammairiensD, et dont les th+ses poussent à l'extr&me certains aspects de la linguistique historique, tout en o9rant de nouvelles perspectives" #ls posent le caract+re absolument nécessaire des lois phonétiques et a0rment l'aspect essentiellement historiciste de la linguistique (C la seule étude scienti8que du langage est la méthode historiqueD!" Fn revanche, ils réagissent contre l'importance indue accordée à la reconstruction de l'indoeuropéen primiti% au détriment de l'évolution des langues chronologiquement plus proches (Cle comparatisme doit détourner son regard de l'archi langue et le tourner vers le présentD!" .u lieu de se réclamer du mod+le biologique, ils accordent une grande importance à la ps-chologie, alors science montante c'est assigner une limite à l'assimilation de la langue à un organisme naturel" :ans la deuxi+me moitié du xix2 si+cle, sous l'infuence de chercheurs comme M" 5aris, se développe l'étude des origines de la langue %ranAaise et donc de l'ancien %ranAais" :ans le domaine de la grammaire comparée et de la linguistique générale, il %aut citer deux grands noms, ceux de 7" Qréal et d'." 7eillet" 7" Qréal (1=3?1I1P! a cherché à réconcilier la linguistique générale avec les perspectives de la grammaire comparée créateur du terme sémantique (Cscience des signi8cationsD et des Clois qui président à la trans%ormation des sens D!, il réagit contre l'intér&t exclusi% porté à l'aspect phonétique de 13 11
l'évolution des langues" ." 7eillet (1=SS1I3S! est surtout connu pour ses études dans le domaine indo européen et pour l'infuence qu'a exercée sur lui la sociologie, alors naissante, de :ur6heim il insiste sur le caract+re éminemment social de la langue" 'est grâce à une réfexion critique sur les acquis et les impasses de cette linguistique du xixe si+cle que W" de /aussure va tenter d'édi8er une linguistique générale dont se réclameront la plupart des courants structuralistes européens et qui marque l'av+nement de la linguistique moderne"
13
1?