SÉQUENCE 3 : AH !! QUEL BOUQUET FANTASTIQUE !!! Objet d’étude retenu : Du côté de l’imaginaire Temps : 11H
Problématique : Comment l’imaginaire joue-t-il avec les moyens du langage, à l’opposé de sa fonction utilitaire ou référentielle ? Quelles sont les caractéristiques et les évolutions du genre littéraire fantastique ?
1 bac pro Finalités traitées : Entrer dans l’échange oral : écouter, réagir, s’exprimer □ Devenir un lecteur compétent et critique □ Confronter des savoirs er des valeurs pour construire son identité culturelle Objectifs généraux visés : - Etre capable de définir le registre fantastique et son évolution dans le temps - Etre capable de lire des œuvres plus ou moins longues - Comparer des textes - Proposer une synthèse et un bilan Capacités : Connaissances : Attitudes : Contextualiser et mettre en Lexique : imagination, Etre curieux des relation des œuvres traitant, imaginaire, peur, étrange représentations variées de la par l’imaginaire, un même Lexique des émotions réalité aspect du réel à des époques Point de vue, modalisation du Production : différentes doute Ecrire une nouvelle Réaliser une production Registre fantastique fantastique faisant appel à l’imaginaire Temps de fiction, de narration Tableau de synthèse Description des lieux et des permettant de voir points personnes communs et différences entre Fantastique, Fantasy et Science Fiction Support choisi : Extraits de nouvelles fantastiques ère
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Séquence: 8 un bouquet de fantastique • Définir le fantastique et le différencier de la Fantasy et de la science-fiction. Objectifs généraux : • Etre capable d’appréhender une évolution d’un genre dans le temps • Retrouver les éléments du narratif : statut du narrateur, schéma narratif, temps de fiction, concordance des temps… Problématique générale : Quelles sont les caractéristiques et les évolutions du genre littéraire fantastique ? Tps Titre problématique Support Notions Activité 1H Vous avez dit Comment définir le • Fin de la Vénus Le fantastique : Caractériser la fantastique… fantastique ? d’Ille de P. Mérimée thème, définition, narration et le Texte narratifs narrateur nouvelle Caractériser l’atmosphère Caractériser les événements fantastiques Travail sur l’ellipse 1H
L’atmosphère fantastique
Comment qualifier l’atmosphère fantastique ?
Le miroir déformant de Tchékhov
Fantastique : thèmes récurrents description
Travail sur fantastique
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La description lieu : angoisse
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Le fantastique XIX
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Comment a évolué le genre fantastique au XIX ?
Djoumâne de P. Mérimée Véra de Villiers d’Adam
Les grands thèmes du fantastique Affiner la définition
Travail autour de la narration Texte 1 : travail sur le rêve Te2 : travail sur le fantastique
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Deux thèmes fantastique : fantômes monstres
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En quoi monstres et fantômes sontils des composantes incontournables des récits fantastiques ?
Extraits de Kafka et de Verne
Construire une lecture méthodique
Le fantastique XXème siècle
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Comment a évolué le genre fantastique au XX ?
Le jeu du bouton de Matheson
Fantastique Psychologie personnages
Travail autour de la narration Travail autour de la description des monstres et des fantômes Travail sur le surnaturel
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DM 6.
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Science-fiction Fantasy ?
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Bilan : fantastique : et évolution évaluation
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Faire un texte fantastique : soit décrire le lieu, soit suite d’une histoire. Fantasy ou Comment • Michaël Fantasy Fantastique ? différencier la MOORCOCK, Elric le fantastique Fantasy du Nécromancien, 1977 fantastique ? • Paille humide de Matheson
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Comment différencier science-fiction fantastique ?
la du
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des
Sur les personnages
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Lire les 2 textes Proposer un tableau d’analyse pour comparer les deux textes : points communs et différences
Science-fiction Temps de narration et temps de fiction
Travail autour de la narration Travail autour des éléments surnaturels comparaison
Faire un tableau de synthèse présentant l’évolution du genre fantastique depuis le XIX et les différences avec Fantasy et sciencefiction. Villiers de L’Isle Adam l’intersigne Contes cruels
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Travail de recherche sur le fantastique : Le fantastique est un genre littéraire fondé sur la fiction, racontant l’intrusion du surnaturel dans un cadre réaliste, autrement dit l’apparition de faits inexpliqués et théoriquement inexplicables dans un contexte connu du lecteur. C’est l’intrusion brutale du mystère dans le cadre de la vie réelle. Selon le théoricien de la littérature Tzvetan Todorov, le fantastique ne serait présent que dans l’hésitation entre l'acceptation du surnaturel en tant que tel et une tentative d’explication rationnelle. En cela, le fantastique est situé entre les genres du merveilleux (et son incarnation contemporaine, la Fantasy), dans lequel le surnaturel est accepté et justifié car le cadre est imaginaire et irréaliste, et de l’étrange, dans lequel les faits apparemment surnaturels sont expliqués et acceptés comme normaux. Contrairement à ces deux genres, dans le fantastique, le héros, comme le lecteur, a presque systématiquement une réaction de refus des faits surnaturels qui surviennent. Cette réaction de refus peut être mêlée de doute, de rejet et/ou de peur. Cette définition plaçant le fantastique à la frontière de l'étrange et du merveilleux est généralement acceptée, mais a fait l'objet de nombreuses controverses, telle que celle menée par Stanislas Lem. Le fantastique est très souvent lié à une atmosphère particulière, une sorte de crispation due à la rencontre de l’impossible. La peur est souvent présente, que ce soit chez le héros ou dans une volonté de l’auteur de provoquer l’angoisse chez le lecteur ; néanmoins ce n’est pas une condition sine qua non du fantastique. Le genre remonterait à la fin du XVIIIème, et a été introduit en Europe par Hoffmann. Il se développe en France par les Romantiques : ils suppriment peu à peu la frontière entre rêve et réalité (Djoûmane de Mérimée), la lisière entre la vie et la mort devient incertaine, (Véra de Villiers d’ Adam), les hommes se transforment en animaux (le monstre vert de Nerval), les objets inanimés prennent vie (la vénus d’Ille)… Les monstres, comme créatures malfaisantes, et fantômes deviennent les principaux personnages d’Hoffmann, Balzac, Lautréamont, Gautier, Dumas, Nerval, Hugo, Vigny, Sand, Barbey d’Aurevilly, Villiers de L’Isle Adam. Les lieux sont les cimetières, les maisons hantées, les manoirs abandonnés, tout ce qui peut créer une atmosphère d’horreur. Tout se passe presque la nuit. A la fin du XIX, Baudelaire traduit Edgar Allan Poe : c’est une nouvelle ère du fantastique, où on assiste à des personnages solitaires, ou écartés du monde, pris à leurs démons intérieurs : Maupassant, (Apparition, la Main, la Peur…), le miroir déformant de Tchékhov, Verne, puis Stephen King au XXème siècle. Au XXème siècle, les auteurs font basculer les personnages dans un univers inconnu et manie avec excellence l’angoisse : on dévie vers l’épouvante. Le psychologique tient une grande part aussi : Harry, le jeu du bouton… Le but du fantastique est de provoquer la peur et l’angoisse, il doit révéler ce qu’on ne veut pas voir : le sang, les cadavres,, la nuit, les ruines. C’est le Mal : c’est une littérature de la souffrance, de la folie, de l’échec. C’est le passé qui ne veut pas mourir : on assiste à une sorte de survie de la société d’Ancien Régime rurale, religieuse et superstitieuse, qui coexiste avec une société plus moderne, démocratique, rationnelle et urbaine : le meilleur exemple est le fantôme qui ne veut pas mourir.
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SEQUENCE 3 : Ah !!! Quel bouquet fantastique !!! Séance 1 : vous avez dit fantastique… Comment définir le fantastique ? Objectif : analyser les éléments qui font d’un texte un texte fantastique Dominante Supports Savoir Savoir-faire LM Fin de la Vénus d’Ille Fantastique Rechercher des éléments dans un texte de P. Mérimée. Textes narratifs Donner une définition Tps : 1H Travail sur la narration Qui est le narrateur ? Appartient-il à l’histoire ? Quelle est la focalisation ? C’est Je, on ne sait pas son nom ni prénom, on sait seulement qu’il n’habite pas là où le meurtre s’est produit Il appartient à l’histoire C’est un narrateur interne / focalisation interne. Quels sont les temps du texte ? A quel genre appartient ce texte ? Que raconte le narrateur ? Ce texte est un extrait d’un texte narratif : il y a un narrateur, qui raconte un événement. Il y a des personnages. Les temps sont ceux du récit (PS, imparfait et PQP). Il appartient à la forme de la nouvelle (récit court, avec une seule intrigue, peu de personnages, peu d’actions, peu de lieux.) Travail sur les éléments fantastiques Relevez tous les éléments étranges du texte. La folie de la jeune mariée est-elle compréhensible ? Pourquoi parle-t-on de folie ? Ce texte narratif peut être lu comme un texte policier ou fantastique : • Policier, car ici, le narrateur raconte que le fils du propriétaire, tout juste marié, est mort pendant la nuit de noce. On ne sait pas comment. • Fantastique car l’explication de la jeune mariée est inexplicable et irrationnelle. On parle de folie car personne ne veut et ne peut croire ce qu’elle raconte. Le fantastique est un genre littéraire fondé sur la fiction, racontant l’intrusion du surnaturel dans un cadre réaliste, autrement dit l’apparition de faits inexpliqués et théoriquement inexplicables dans un contexte connu du lecteur. C’est l’intrusion brutale du mystère dans le cadre de la vie réelle.
Travail sur l’atmosphère Caractérisez par des champs lexicaux, des relevés… l’atmosphère de ce passage. Pendant la nuit, il ya des bruits, sommeil lent et insomnie./Il est réveillé plusieurs fois par des bruits étranges, qu’il n’explique pas, puis par des cris humains./C’est une nuit de noces Relevez-vous quelque chose de particulier ? Non, c’est une scène de la vie de tous les jours, du moins banale. Que recherche le narrateur ? Le narrateur recherche le coupable en étudiant les indices : pas, traces… Mais il est troublé par la pluie et la nuit de noces. Dans les textes fantastiques, l’atmosphère a une grande importance : elle ajoute à l’horreur, à la peur, au surnaturel, à l’inexplicable. La nuit est le moment privilégié, de même que les châteaux en ruine, les manoirs hantés… Travail sur l’ellipse Sait-on ce qui est vraiment arrivé ?Quelle explication proposez-vous ? Le fait qu’il y ait une ellipse, un élément passé sous silence, permet au lecteur de se faire sa propre idée. Ici, l’ellipse n’est pas totale, car la jeune mariée propose une explication, mais ses propos sont confus et peu croyables.
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Le narrateur, à la recherche d’antiquités diverses, est reçu chez Monsieur de Peyrehorade. Ce dernier vient de trouver une statue en cuivre, noire, représentant Vénus à demi nue. Elle intimide par son regard. Monsieur de Peyrehorade va marier son fils et pour ne pas perdre l’alliance, il la met au doigt de la statue. La noce se passe, puis le repas. C’est le soir qui suit.
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« Le silence régnait depuis quelque temps lorsqu’il fut troublé par des pas lourds qui montaient l’escalier. Les marches de bois craquèrent fortement. « Quel butor ! m’écriai-je. Je parie qu’il va tomber dans l’escalier. » Tout redevint tranquille. Je pris un livre pour changer le cours de mes idées. C’était une statistique du département, ornée d’un mémoire de M. de Peyrehorade sur les monuments druidiques de l’arrondissement de Prades. Je m’assoupis à la troisième page. Je dormis mal et me réveillai plusieurs fois. Il pouvait être cinq heures du matin, et j’étais éveillé depuis plus de vingt minutes lorsque le coq chanta. Le jour allait se lever. Alors j’entendis distinctement les mêmes pas lourds, le même craquement de l’escalier que j’avais entendus avant de m’endormir. Cela me parut singulier. J’essayai, en bâillant, de deviner pourquoi M. Alphonse se levait si matin. Je n’imaginais rien de vraisemblable. J’allais refermer les yeux lorsque mon attention fut de nouveau excitée par des trépignements étranges auxquels se mêlèrent bientôt le tintement des sonnettes et le bruit de portes qui s’ouvraient avec fracas, puis je distinguai des cris confus. Mon ivrogne aura mis le feu quelque part ! pensais-je en sautant à bas de mon lit. Je m’habillai rapidement et j’entrai dans le corridor. De l’extrémité opposée partaient des cris et des lamentations, et une voix déchirante dominait toutes les autres : « Mon fils ! mon fils ! » Il était évident qu’un malheur était arrivé à M. Alphonse. Je courus à la chambre nuptiale : elle était pleine de monde. Le premier spectacle qui frappa ma vue fut le jeune homme à demi-vêtu, étendu en travers sur le lit dont le bois était brisé. Il était livide, sans mouvement. Sa mère pleurait et criait à côté de lui. M. de Peyrehorade s’agitait, lui frottait les tempes avec de l’eau de Cologne, ou lui mettait des sels sous le nez. Hélas ! depuis longtemps son fils était mort. Sur un canapé, à l’autre bout de la chambre, était la mariée, en proie à d’horribles convulsions. Elle poussait des cris inarticulés, et deux robustes servantes avaient toutes les peines du monde à la contenir. « Mon Dieu ! m’écriai-je, qu’est-il donc arrivé ? » Je m’approchai du lit et soulevai le corps du malheureux jeune homme ; il était déjà roide et froid. Ses dents serrées et sa figure noircie exprimaient les plus affreuses angoisses. Il paraissait assez que sa mort avait été violente et son agonie terrible. Nulle trace de sang cependant sur ses habits. J’écartai sa chemise et vis sur sa poitrine une empreinte livide qui se prolongeait sur les côtes et le dos. On eût dit qu’il avait été étreint dans un cercle de fer. Mon pied posa sur quelque chose de dur qui se trouvait sur le tapis ; je me baissai et vis la bague de diamants. J’entraînai M. de Peyrehorade et sa femme dans leur chambre ; puis j’y fis porter la mariée. « Vous avez encore une fille, leur dis-je, vous lui devez vos soins. » Alors je les laissai seuls. Il ne me paraissait pas douteux que M. Alphonse n’eût été victime d’un assassinat dont les auteurs avaient trouvé moyen de s’introduire la nuit dans la chambre de la mariée. Ces meurtrissures à la poitrine, leur direction circulaire m’embarrassaient beaucoup pourtant, car un bâton ou une barre de fer n’aurait pu les produire. Tout d’un coup je me souvins d’avoir entendu dire qu’à Valence des braves se servaient de longs sacs de cuir remplis de sable fin pour assommer les gens dont on leur avait payé la mort. Aussitôt je me rappelai le muletier aragonais et sa menace ; toutefois j’osais à peine penser qu’il eût tiré une si terrible vengeance d’une plaisanterie légère. J’allais dans la maison, cherchant partout des traces d’effraction, et n’en trouvant nulle part. Je descendis dans le jardin pour voir si les assassins avaient pu s’introduire de ce côté ; mais je ne trouvai aucun indice certain. La pluie de la veille avait d’ailleurs tellement détrempé le sol, qu’il n’aurait pu garder d’empreinte bien nette. J’observai pourtant quelques pas profondément imprimés dans la terre : il y en avait dans deux directions contraires, mais sur une même ligne, partant de l’angle de la haie contiguë au jeu de paume et aboutissant à la porte de la maison. Ce 5
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pouvaient être les pas de M. Alphonse lorsqu’il était allé chercher son anneau au doigt de la statue. D’un autre côté, la haie, en cet endroit, étant moins fourrée qu’ailleurs, ce devait être sur ce point que les meurtriers l’auraient franchie. Passant et repassant devant la statue, je m’arrêtai un instant pour la considérer. Cette fois, je l’avouerai, je ne pus contempler sans effroi son expression de méchanceté ironique ; et, la tête toute pleine des scènes horribles dont je venais d’être le témoin, il me sembla voir une divinité infernale applaudissant au malheur qui frappait cette maison. Je regagnai ma chambre et j’y restai jusqu’à midi. Alors je sortis et demandai des nouvelles de mes hôtes. Ils étaient un peu plus calmes. Mademoiselle de Puygarrig, je devrais dire la veuve de M. Alphonse, avait repris connaissance. Elle avait même parlé au procureur du roi de Perpignan, alors en tournée à Ille, et ce magistrat avait reçu sa déposition. Il me demanda la mienne. Je lui dis ce que je savais, et ne lui cachai pas mes soupçons contre le muletier aragonais. Il ordonna qu’il fût arrêté sur-le-champ. « Avez-vous appris quelque chose de madame Alphonse ? » demandai-je au procureur du roi, lorsque ma déposition fut écrite et signée. « Cette malheureuse jeune personne est devenue folle, me dit-il en souriant tristement. Folle ! tout à fait folle. Voici ce qu’elle conte : « Elle était couchée, dit-elle, depuis quelques minutes, les rideaux tirés, lorsque la porte de sa chambre s’ouvrit, et quelqu’un entra. Alors madame Alphonse était dans la ruelle du lit, la figure tournée vers la muraille. Elle ne fit pas un mouvement, persuadée que c’était son mari. Au bout d’un instant le lit cria comme s’il était chargé d’un poids énorme. Elle eut grand’peur, mais n’osa pas tourner la tête. Cinq minutes, dix minutes peut-être… elle ne peut se rendre compte du temps, se passèrent de la sorte. Puis elle fit un mouvement involontaire, ou bien la personne qui était dans le lit en fit un, et elle sentit le contact de quelque chose de froid comme la glace, ce sont ses expressions. Elle s’enfonça dans la ruelle tremblant de tous ses membres. Peu après, la porte s’ouvrit une seconde fois, et quelqu’un entra, qui dit : Bonsoir, ma petite femme. Bientôt après on tira les rideaux. Elle entendit un cri étouffé. La personne qui était dans le lit, à côté d’elle, se leva sur son séant et parut étendre les bras en avant. Elle tourna la tête alors… et vit, dit-elle, son mari à genoux auprès du lit, la tête à la hauteur de l’oreiller, entre les bras d’une espèce de géant verdâtre qui l’étreignait avec force. Elle dit, et m’a répété vingt fois, pauvre femme !… elle dit qu’elle a reconnu… devinez-vous ? la Vénus de bronze, la statue de M. de Peyrehorade… Depuis qu’elle est dans le pays, tout le monde en rêve. Mais je reprends le récit de la malheureuse folle. À ce spectacle, elle perdit connaissance, et probablement depuis quelques instants elle avait perdu la raison. Elle ne peut en aucune façon dire combien de temps elle demeura évanouie. Revenue à elle, elle revit le fantôme, ou la statue, comme elle dit toujours, immobile, les jambes et le bas du corps dans le lit, le buste et les bras étendus en avant, et entre ses bras son mari, sans mouvement. Un coq chanta. Alors la statue sortit du lit, laissa tomber le cadavre et sortit. Mme Alphonse se pendit à la sonnette, et vous savez le reste. » On amena l’Espagnol ; il était calme, et se défendit avec beaucoup de sang-froid et de présence d’esprit. Du reste, il ne nia pas le propos que j’avais entendu ; mais il l’expliquait, prétendant qu’il n’avait voulu dire autre chose, sinon que le lendemain, reposé qu’il serait, il aurait gagné une partie de paume à son vainqueur. Je me rappelle qu’il ajouta : « Un Aragonais, lorsqu’il est outragé, n’attend pas au lendemain pour se venger. Si j’avais cru que M. Alphonse eût voulu m’insulter, je lui aurais sur-le-champ donné de mon couteau dans le ventre. » On compara ses souliers avec les empreintes de pas dans le jardin ; ses souliers étaient beaucoup plus grands. Enfin l’hôtelier chez qui cet homme était logé assura qu’il avait passé toute la nuit à frotter et à 6
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médicamenter un de ses mulets qui était malade. D’ailleurs cet Aragonais était un homme bien famé, fort connu dans le pays, où il venait tous les ans pour son commerce. On le relâcha donc en lui faisant des excuses. J’oubliais la déposition d’un domestique qui le dernier avait vu M. Alphonse vivant. C’était au moment qu’il allait monter chez sa femme, et, appelant cet homme, il lui demanda d’un air 100 d’inquiétude s’il savait où j’étais. Le domestique répondit qu’il ne m’avait point vu. Alors M. Alphonse fit un soupir et resta plus d’une minute sans parler, puis il dit : Allons ! le diable l’aura emporté aussi ! Je demandai à cet homme si M. Alphonse avait sa bague de diamants, lorsqu’il lui parla. Le domestique hésita pour répondre ; enfin il dit qu’il ne le croyait pas, qu’il n’y avait fait au reste 105 aucune attention. « S’il avait eu cette bague au doigt, ajouta-t-il en se reprenant, je l’aurais sans doute remarquée, car je croyais qu’il l’avait donnée à madame Alphonse. » En questionnant cet homme je ressentais un peu de la terreur superstitieuse que la déposition de Mme Alphonse avait répandue dans toute la maison. Le procureur du roi me regarda en souriant, et je me gardai bien d’insister. 110 Quelques heures après les funérailles de M. Alphonse, je me disposai à quitter Ille. La voiture de M. de Peyrehorade devait me conduire à Perpignan. Malgré son état de faiblesse, le pauvre vieillard voulut m’accompagner jusqu’à la porte de son jardin. Nous le traversâmes en silence, lui se traînant à peine, appuyé sur mon bras. Au moment de nous séparer, je jetai un dernier regard sur la Vénus. Je prévoyais bien que mon hôte, quoiqu’il ne partageât point les terreurs et les haines 115 qu’elle inspirait à une partie de sa famille, voudrait se défaire d’un objet qui lui rappellerait sans cesse un malheur affreux. Mon intention était de l’engager à la placer dans un musée. J’hésitais pour entrer en matière, quand M. de Peyrehorade tourna machinalement la tête du côté où il me voyait regarder fixement. Il aperçut la statue et aussitôt fondit en larmes. Je l’embrassai, et, sans oser lui dire un seul mot, je montai dans la voiture. 120 Depuis mon départ je n’ai point appris que quelque jour nouveau soit venu éclairer cette mystérieuse catastrophe. M. de Peyrehorade mourut quelques mois après son fils. Par son testament il m’a légué ses manuscrits, que je publierai peut-être un jour. Je n’y ai point trouvé le mémoire relatif aux 125 inscriptions de la Vénus. 126 P. S. Mon ami M. de P. vient de m’écrire que la statue n’existe plus. Après la mort de son mari, le 127 premier soin de Madame de Peyrehorade fut de la faire fondre en cloche, et sous cette nouvelle 128 forme elle sert à l’église d’Ille. Mais, ajoute M. de P., il semble qu’un mauvais sort poursuive ceux 129 qui possèdent ce bronze. Depuis que cette cloche sonne à l’Ille, les vignes ont gelé deux fois. » La Vénus d’Ille, Prosper Mérimée. 1837. 1. Travail sur la narration Qui est le narrateur ? Appartient-il à l’histoire ? Quelle est la focalisation ? Quels sont les temps du texte ? A quel genre appartient ce texte ? Que raconte le narrateur ? 2. Travail sur les éléments fantastiques Relevez tous les éléments étranges du texte. La folie de la jeune mariée est-elle compréhensible ? Pourquoi parle-t-on de folie ? 3. Travail sur l’atmosphère Caractérisez par des champs lexicaux, des relevés… l’atmosphère de ce passage. Relevez-vous quelque chose de particulier ? Que recherche le narrateur ? 4. Travail sur l’ellipse : Sait-on ce qui est vraiment arrivé ? Quelle explication proposez-vous ? 7
SEQUENCE 3 : Ah !!! Quel bouquet fantastique !!! Séance 2 : l’atmosphère fantastique Comment qualifier l’atmosphère fantastique ? Objectif : analyser l’atmosphère fantastique Dominante Supports Savoir LM Le miroir déformant Fantastique : thèmes récurrents de Tchékhov description Tps : 1H
Savoir-faire Réinvestir une notion
1. Relevez dans le texte les éléments qui font de ce texte un texte fantastique • Atmosphère étrange, oppressante et angoissante • Attitude de la femme avec le miroir • Etrangeté du miroir qui aurait des pouvoirs magiques • On n’explique pas la folie de la femme • Solitude, folie de la femme • Texte narratif : temps du récit, nouvelle, le narrateur témoin, interne à l’histoire 2. Le miroir est-il si magique que cela ? Non, il déforme les visages qui se reflètent dedans (comme dans les galeries de miroirs dans certains parcs d’attraction) Ce texte est fantastique par l’atmosphère oppressante qui est créée. L’auteur hésite aussi avec les récits merveilleux, puisqu’il donne des pouvoirs presque magiques au miroir, comme dans les contes. Il montre un des thèmes récurrents du fantastique : la folie et la solitude des personnages. Le narrateur est toujours interne à l’histoire : dans les textes fantastiques, le narrateur est souvent témoin ou rapporte un souvenir qui lui est arrivé jadis. C’est un narrateur interne. Travail sur l’atmosphère 3. Relevez ou soulignez tous les mots qui caractérisent le lieu. Odeur de mousse, humidité Murs verdis, qui parlent (personnification) Inhabité depuis 100 ans Cheminée, sanglots Millions de rats et de souris Il pleut Vent qui souffle, qui gémit et hurle : personnification C’est plein de poussière ⇒ Le lieu fait peur, il est angoissant car c’est la nuit, il pleut, c’est une vieille maison inhabitée 4. Le lieu es-il décrit précisément ? par qui ? Non, on sait qu’il y a un salon, une cheminée, des portraits du Moyen-âge. Mais la description est imprécise. 5. Comment est transmis le lieu au lecteur ? Par des sensations : humidité, odeur, vent, froid…couleurs Par des bruits : personnification du vent 6. Surlignez tous les termes qui traduisent l’angoisse : Des millions de souris et de rats se sauvèrent, Le vent gémissait et hurlait, effroyable, Poussa un cri, Ténèbres, gémissements, évanouir, plaintifs, mes cheveux se dressaient sur ma tête, un volet fut arraché et tomba à terre, terreur. Le texte descriptif sert à connaître les lieux et les personnages du récit. Pour un lieu, on parle de description et pour un personnage, un portrait. Les lieux et les personnages peuvent être vraisemblables ou imaginaires sans aucune référence à la réalité. Le texte descriptif permet de créer une ambiance, une impression, de donner des informations au lecteur. Ce qui est décrit s’appelle le thème de la description. Les éléments qui le détaillent et le précisent s’appellent les sous-thèmes. Le vocabulaire utilisé peut être valorisant ou dévalorisant.
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Nous entrâmes dans le salon, ma femme et moi. Il y régnait une odeur de mousse et d’humidité. Dès que nous fîmes de la lumière sur les murs qui n’en avaient pas vu depuis un siècle, des millions de souris et de rats se sauvèrent de tous les côtés. La porte refermée derrière nous, nous sentîmes un souffle de vent agiter les papiers entassés dans les coins. La lumière nous permit de discerner des caractères anciens et des dessins datant du Moyen Âge. Les portraits de mes ancêtres tapissaient les murs verdis par le temps. Ils nous regardaient d’un air sévère et dédaigneux comme s’ils avaient voulu dire : « Tu mérites une correction, mon petit ! » Nos pas résonnaient dans toute la maison. Le même écho qui répondait jadis à mes aïeux renvoyait le bruit de ma toux. Le vent gémissait et hurlait. Un bruit de sanglots sortait de la cheminée, et l’on discernait une sorte de désespoir. De grosses gouttes de pluie frappaient les vitres opaques et sombres et leur éveillait la tristesse. « Ô ancêtres ! dis-je avec un soupir entendu. Si j’étais écrivain, j’écrirai un long roman rien qu’en regardant vos portraits. Chacun de ces vieillards a été jeune, tous ces hommes et ces femmes ont vécu leur roman d’amour… et quel roman ! Regarde par exemple cette vieille, ma bisaïeule. Cette femme laide et disgracieuse a son histoire, une histoire fort intéressante. Vois-tu ce miroir accroché dans le coin ? demandai-je à ma femme en lui montrant un grand miroir encadré de bronze noirci, près du portrait de ma bisaïeule. « Ce miroir a des propriétés magiques : il a causé la perte de mon arrière-grand-mère. Elle l’avait payé très cher et elle ne s’en sépara pas jusqu’à sa mort. Elle s’y regardait nuit et jour, sans arrêt, même pendant les repas, et l’emportait le soir dans son lit. En mourant elle avait demandé qu’on le mette dans son cercueil. Et si sa prière n’a pas été exaucée, c’est que le miroir était trop grand et n’entrait pas dans la bière. -C’était une coquette ? dit ma femme. -Admettons. Mais n’avait-elle pas d’autres miroirs ? Pourquoi aimait-elle précisément celui-ci ? Elle en avait de bien plus beaux, il me semble ? Non, chérie, il y a là un effroyable mystère. Il ne peut en être autrement. D’après la légende, ce miroir abritait le diable et ma bisaïeule avait un faible pour le Malin. Ce sont évidemment des bavardages, mais il n’y a pas de doute, cette glace encadrée de bronze possède un pouvoir mystérieux ». J’enlevai la poussière qui recouvrait le miroir et partis d’un éclat de rire. L’écho en renvoya le son assourdi. C’était un miroir déformant ; les traits de mon visage étaient tordus en tous sens : j’avais le nez sur la joue, le menton coupé en deux et s’étirait de biais. « Elle avait des goûts étranges, ma bisaïeule ! » dis-je. Ma femme s’approcha du miroir d’un pas hésitant et y jeta un regard ; et aussitôt, il se passa quelque chose d’effroyable. Elle blêmit, se mit à trembler de tous ses membres et poussa un cri. Le chandelier glissa de sa main, tomba sur le sol, la bougie s’éteignit et nous nous trouvâmes dans les ténèbres. J’entendis le bruit d’un corps qui tombait : c’était ma femme qui venait de s’évanouir. Les gémissements du vent s’étaient faits encore plus plaintifs, les rats s’étaient remis à courir, les souris faisaient bruire le papier. Mes cheveux se dressaient sur ma tête. A ce moment, un volet fut arraché et tomba à terre. La lune apparut par la fenêtre… Je pris ma femme dans mes bras et l’emportait hors de la demeure de mes ancêtres. Elle ne reprit connaissance que le lendemain soir. « Le miroir ! Donne-moi le miroir ! dit-elle en revenant à elle. Où est-il ? ». Pendant une semaine entière ma femme resta sans boire, sans manger ni dormir, réclamant sans cesse qu’on lui apportât le miroir. Elle sanglotait, s’arrachait les cheveux, en proie à une agitation fébrile. Quand finalement le docteur déclara qu’elle pouvait mourir d’inanition et que son état était très grave, je surmontai ma terreur, et descendis chercher le miroir de ma bisaïeule. Quand elle l’aperçut, elle éclata d’un rire heureux, le saisit, y posa ses lèvres et y plongea avidement les yeux. Plus de dix ans ont passé et ma femme regarde toujours dans le miroir sans le quitter des yeux un seul
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instant. « Est-ce bien moi ? murmure-t-elle, et son visage coloré s’illumine de béatitude et de ravissement. Oui, c’est bien moi. Tout le monde ment, sauf le miroir ! Les gens mentent, mon mari ment. Si je m’étais vue plus tôt, si j’avais su ce que j’étais en réalité, jamais je n’aurais épousé cet homme ! Il n’est pas digne de moi ! Je devrais avoir à mes pieds les chevaliers les plus beaux et les plus nobles ! » Un jour que je me trouvais derrière ma femme, je jetai, par hasard, un regard sur le miroir, et découvris un terrible secret. J’y voyais une femme d’une éblouissante beauté, comme je n’en avais jamais vu de ma vie. C’était une merveille de la nature, un mélange harmonieux de beauté, d’élégance et d’amour. Mais qu’était-ce donc ? Que s’était-il passé ? Pourquoi ma femme laide et sans grâce paraissait-elle si belle dans le miroir ? Pourquoi ? Tout simplement, parce que le miroir déformant tordait le visage laid de ma femme en tous sens, et que ce visage aux traits déplacés était doué par le hasard d’une grande beauté. Moins et moins donnait plus. Et maintenant, ma femme et moi, nous restons tous deux assis devant le miroir, et nous le regardons sans le quitter une seule minute : mon nez mange ma joue gauche, mon menton coupé est tordu, mais le visage de ma femme est ensorceleur ; et une passion folle, sauvage m’envahit. J’éclate d’un rire inhumain, et ma femme, d’une voix à peine perceptible, murmure : « Comme je suis belle ! » Anton Tchekhov, Le miroir déformant 1. Relevez dans le texte les éléments qui font de ce texte un texte fantastique 2. Le miroir est-il si magique que cela ?
Travail sur l’atmosphère 3. Relevez ou soulignez tous les mots qui caractérisent le lieu. 4. Le lieu es-il décrit précisément ? par qui ? 5. Comment est transmis le lieu au lecteur ? 6. Surlignez tous les termes qui traduisent l’angoisse : 53 54 55
instant. « Est-ce bien moi ? murmure-t-elle, et son visage coloré s’illumine de béatitude et de ravissement. Oui, c’est bien moi. Tout le monde ment, sauf le miroir ! Les gens mentent, mon mari ment. Si je m’étais vue plus tôt, si j’avais su ce que j’étais en réalité, jamais je n’aurais épousé cet homme ! Il n’est pas digne de moi ! Je devrais avoir à mes pieds les chevaliers les plus beaux et les plus nobles ! » Un jour que je me trouvais derrière ma femme, je jetai, par hasard, un regard sur le miroir, et découvris un terrible secret. J’y voyais une femme d’une éblouissante beauté, comme je n’en avais jamais vu de ma 60 vie. C’était une merveille de la nature, un mélange harmonieux de beauté, d’élégance et d’amour. Mais qu’était-ce donc ? Que s’était-il passé ? Pourquoi ma femme laide et sans grâce paraissait-elle si belle dans le miroir ? Pourquoi ? Tout simplement, parce que le miroir déformant tordait le visage laid de ma femme en tous sens, et que ce visage aux traits déplacés était doué par le hasard d’une grande beauté. Moins et moins donnait plus. 65 Et maintenant, ma femme et moi, nous restons tous deux assis devant le miroir, et nous le regardons sans le quitter une seule minute : mon nez mange ma joue gauche, mon menton coupé est tordu, mais le visage de ma femme est ensorceleur ; et une passion folle, sauvage m’envahit. J’éclate d’un rire inhumain, et ma femme, d’une voix à peine perceptible, murmure : 69 « Comme je suis belle ! » Anton Tchekhov, Le miroir déformant 1. Relevez dans le texte les éléments qui font de ce texte un texte fantastique 2. Le miroir est-il si magique que cela ? 3. Relevez ou soulignez tous les mots qui caractérisent le lieu. 4. Le lieu es-il décrit précisément ? par qui ? 5. Comment est transmis le lieu au lecteur ? 6. Surlignez tous les termes qui traduisent l’angoisse :
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SEQUENCE 3: Ah !!! Quel bouquet fantastique !!! Séance 3 : le fantastique à travers le XIXème siècle… Comment a évolué le genre fantastique au XIX ? Objectif : analyser les éléments qui font d’un texte un texte Dominante Supports Savoir LM Djoumâne de P. Fantastique : thèmes Mérimée récurrents Tps : 2H Véra de Villiers d’Adam
fantastique Savoir-faire Rechercher des éléments dans un texte Donner une définition
Au préalable : lecture de la nouvelle à la maison 1ère heure : travail sur Djoûmane : la disparition de la frontière entre rêve et réalité. Travail en autonomie Correction au rétroprojecteur par 2-3 élèves en fin d’heure 1. Travail sur la narration Qui est le narrateur ? Appartient-il à l’histoire ? Quelle est la focalisation ? Quels sont les temps du texte ? A quel genre appartient ce texte ? Que raconte le narrateur ? 2. Travail sur les éléments fantastiques Relevez tous les éléments étranges du texte. En quoi cette nouvelle est-elle proche aussi du récit d’aventures ? 3. Travail sur le rêve Quels sont les signes évidents qui indiquent qu’il s’agit d’un récit de rêve ? Quels rapports pouvez-vous établir entre le rêve du narrateur et ce qu’il a vécu dans la journée ? Quels sont les sentiments profonds du narrateur qui apparaissent dans le rêve, bien plus que dans l’expérience diurne ? Ce texte est-il fantastique ? Pourquoi ?
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P. Mérimée
(1873)
Le 21 mai 18… nous rentrions à Tlemcen 2. L’expédition avait été heureuse ; nous ramenions bœufs, moutons, chameaux, des prisonniers et des otages. Après trente-sept jours de campagne ou plutôt de chasse incessante, nos chevaux étaient maigres, efflanqués, mais ils avaient encore l’œil vif et plein de feu ; pas un n’était écorché sous la selle. Nos hommes, bronzés par le soleil, les cheveux longs, les buffleteries 3 sales, les vestes râpées, montraient cet air d’insouciance au danger et à la misère qui caractérise le vrai soldat. Pour fournir une belle charge, quel général n’eût pas préféré nos chasseurs aux plus pimpants escadrons habillés de neuf ? Depuis le matin, je pensais à tous les petits bonheurs qui m'attendaient. Comme j'allais dormir dans mon lit de fer après avoir couché trente-sept nuits sur un rectangle de toile cirée ! Je dînerais sur une chaise ! J'aurais du pain tendre et du sel à discrétion 4 ! Puis je me demandais si Mlle Concha aurait une fleur de grenadier ou du jasmin dans ses cheveux, et si elle aurait tenu les serments prêtés à mon départ ; mais, fidèle ou inconstante, je sentais qu'elle pouvait compter sur le grand fond de tendresse qu'on rapporte du désert. Il n'y avait personne dans notre escadron qui n'eût ses projets pour la soirée. Le colonel nous reçut fort paternellement, et même il nous dit qu'il était content de nous ; puis il prit à part notre commandant et, pendant cinq minutes, lui tint à voix basse des discours médiocrement agréables, autant que nous en pouvions juger sur l'expression de leurs physionomies. Nous observions le mouvement des moustaches du colonel, qui s'élevaient à la hauteur de ses sourcils, tandis que celles du commandant descendaient piteusement défrisées jusque sur sa poitrine. Un jeune chasseur, que je fis semblant de ne pas entendre, prétendit que le nez du commandant s'allongeait à vue d'œil ; mais bientôt les nôtres s'allongèrent aussi, lorsque le commandant revint nous dire : «Qu'on fasse manger les chevaux et qu'on soit prêt à partir au coucher du soleil ! Les officiers dînent chez le colonel à cinq heures, tenue de campagne 5; on monte à cheval après le café... Est-ce que, par hasard, vous ne seriez pas contents, messieurs?... » Nous n'en convînmes pas et nous le saluâmes en silence, l'envoyant à tous les diables à part nous 6, ainsi que le colonel. Nous n'avions que peu de temps pour faire nos petits préparatifs. Je m'empressai de me changer et, après avoir fait ma toilette, j'eus la pudeur de ne pas m'asseoir dans ma bergère7, de peur de m'y endormir. À cinq heures, j'entrai chez le colonel. Il demeurait dans une grande maison moresque, dont je trouvai le patio rempli de monde, Français et indigènes, qui se pressaient autour d'une bande de pèlerins ou de saltimbanques arrivant du Sud. Un vieillard, laid comme un singe, à moitié nu sous un burnous 8 troué, la peau couleur du chocolat à l'eau, tatoué sur toutes les coutures, les cheveux crépus et si touffus qu'on aurait cru de loin qu'il avait un colback9 sur la tête, la barbe blanche et hérissée, dirigeait la représentation. C'était, disait-on, un grand saint et un grand sorcier. Devant lui, un orchestre composé de deux flûtes et de trois tambours faisait un tapage infernal, digne de la pièce qui allait se jouer. Il disait qu'il avait reçu d'un marabout 10 fort renommé tout pouvoir sur les démons et les bêtes féroces et, après un petit compliment à l'adresse du colonel et du respectable public, il procéda à une sorte de prière ou d'incantation, appuyée par sa musique, tandis que les acteurs sous ses ordres
Djoûmane : perle, bijou. Mot arabe d’origine persane Tlemcen : ville algérienne, chef lieu de la subdivision militaire de province d’Oran, pour prévenir des mouvements sporadiques d’insurrection anti colonisation 3 buffleteries : équipements militaires en cuir servant à porter les armes. 4 A discrétion : à volonté 5 Tenue de campagne : tenue du soldat qui va combattre 6 A part nous : dans notre for intérieur, en nous 7 une bergère : type de fauteuil confortable 8 Bournous ou burnous : grand manteau de laine à capuchon et sans manche 9 Colback : bonnet à poil en forme de cône tronqué. 10 Marabout : religieux qui vit dans la stricte observance du Coran. 1 2
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sautaient, dansaient, tournaient sur un pied et se frappaient la poitrine à grands coups de poing. Cependant, les tambours et les flûtes allaient toujours précipitant la mesure. Lorsque la fatigue et le vertige eurent fait perdre à ces gens le peu de cervelle qu'ils avaient, le sorcier en chef tira de quelques paniers placés autour de lui des scorpions et des serpents, et, après avoir montré qu'ils étaient pleins de vie, il les jetait à ses farceurs, qui tombaient dessus comme des chiens sur un os et les mettaient en pièces à belles dents, s'il vous plaît. Nous regardions d'une galerie haute le singulier spectacle que nous donnait le colonel, pour nous préparer sans doute à bien dîner. Pour moi, détournant les yeux de ces coquins qui me dégoûtaient, je m'amusais à regarder une jolie petite fille de treize ou quatorze ans qui se faufilait dans la foule pour se rapprocher du spectacle. Elle avait les plus beaux yeux du monde, et ses cheveux tombaient sur ses épaules en tresses menues terminées par de petites pièces d'argent, qu'elle faisait tinter en remuant la tète avec grâce. Elle était habillée avec plus de recherche que la plupart des filles du pays : mouchoir de soie et d'or sur la tête, veste de velours brodée, pantalons courts en satin bleu laissant voir ses jambes nues entourées d'anneaux d'argent. Point de voile sur la figure. Était-ce une juive, une idolâtre ? ou bien appartenait-elle à ces hordes errantes dont l'origine est inconnue et que ne troublent pas des préjuges religieux ? Tandis que je suivais tous ses mouvements avec je ne sais quel intérêt, elle était parvenue au premier rang du cercle où ces enragés exécutaient leurs exercices. En voulant s'approcher encore davantage, elle fit tomber un long panier à base étroite qu'on n'avait pas ouvert. Presque en même temps, le sorcier et l'enfant firent entendre un cri terrible, et un grand mouvement s'opéra dans le cercle, chacun reculant avec effroi. Un serpent très gros venait de s'échapper du panier et la petite fille l'avait pressé de son pied. En un instant, le reptile s'était enroulé autour de sa jambe. |c vis couler quelques gouttes de sang sous l'anneau qu'elle portait à la cheville. Elle tomba à la renverse, pleurant et grinçant des dents. Une écume blanche couvrit ses lèvres tandis qu'elle se roulait dans la poussière. « Courez donc, cher docteur! criai-je à notre chirurgien-major . Pour l'amour de Dieu, sauvez ce pauvre enfant. - Innocent! répondit le major en haussant les épaules. Ne voyez-vous pas que c'est dans le programme? D'ailleurs, mon métier est de vous couper les bras et les jambes. C'est l'affaire de mon confrère là-bas de guérir les filles mordues par les serpents. » Cependant, le vieux sorcier était accouru et son premier soin fut de s'emparer du serpent. «Djoûmane! Djoûmane! » lui disait-il d'un ton de reproche amical. Le serpent se déroula, quitta sa proie et se mit à ramper. Le sorcier fut leste à le saisir par le bout de la queue et. le tenant à bout de bras, il fit le tour du cercle, montrant le reptile qui se tordait et sifflait sans pouvoir se redresser. Vous n'ignorez pas qu'un serpent qu'on tient par la queue est fort empêché de sa personne. Il ne peut relever qu'un quart tout au plus de sa longueur et, par conséquent, ne peut mordre la main qui l'a saisi. Au bout d'une minute, le serpent fut remis dans son panier, le couvercle bien assujetti 11, et le magicien s'occupa de la petite fille qui criait et gigotait toujours. Il lui mit sur la plaie une pincée de poudre blanche qu'il tira de sa ceinture, puis murmura à l'oreille de l'enfant une incantation dont l'effet ne se fit pas attendre. Les convulsions cessèrent ; la petite fille s'essuya la bouche, ramassa son mouchoir de soie, en secoua la poussière, le remit sur sa tête, se leva, et bientôt on la vit sortir. Un instant après, elle montait dans notre galerie pour faire sa quête, et nous collions sur son front et sur ses épaules force pièces de cinquante centimes. Ce fut la fin de la présentation, et nous allâmes dîner. J'avais bon appétit et je me préparais à faire honneur à une magnifique anguille à la tartare quand notre docteur, auprès de qui j'étais assis, me dit qu'il reconnaissait le serpent de tout à l'heure. Il me fut impossible d'en manger une bouchée. Le docteur, après s'être bien moqué de mes préjugés, réclama ma part de l'anguille et m'assura que le serpent avait un goût délicieux. «Ces coquins que vous venez de voir, me ditil, sont des connaisseurs. Ils vivent dans des cavernes comme des Troglodytes 12, avec leurs serpents ; ils ont de jolies filles, témoin la petite aux culottes bleues. On ne sait quelle religion ils ont, mais ce sont des malins,
Assujetti : ici, fermé Troglodytes : habitants de cavernes rocheuses.
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et je veux faire connaissance de leur cheik. » Pendant le dîner, nous apprîmes pour quel motif nous reprenions la campagne. Sidi-Lala, poursuivi chaudement par le colonel R..., cherchait à gagner les montagnes du Maroc. Deux routes à choisir : une au sud de Tlemcen en passant à gué 13 la Moulaïa14, sur le seul point où des escarpements ne la rendent pas inaccessible; l'autre par la plaine, au nord de notre cantonnement. Là, il devait trouver notre colonel et le gros du régiment. Notre escadron était chargé de l'arrêter au passage de la rivière, s'il le tentait ; mais cela était peu probable. Vous saurez que la Moulaïa coule entre deux murs de rochers et il n'y a qu'un seul point, comme une sorte de brèche assez étroite, où des chevaux puissent passer. Le lieu m'était bien connu, et je ne comprends pas pourquoi on n'a pas encore élevé un blockhaus. Tant il y a que, pour le colonel, il y avait toute chance de rencontrer l'ennemi et, pour nous, de faire une course inutile. Avant la fin du dîner, plusieurs cavaliers du Maghzen 15 avaient apporté des dépêches du colonel R... L'ennemi avait pris position et montrait comme une envie de se battre. Il avait perdu du temps. L'infanterie du colonel R... allait arriver et le culbuter. Mais par où s'enfuirait-il ? Nous n'en savions rien, et il fallait le prévenir sur les deux routes. Je ne parle pas d'un dernier parti qu'il pouvait prendre, se jeter dans le désert; ses troupeaux et sa smala 16 y seraient bientôt morts de faim et de soif. On convint de quelques signaux pour s'avertir du mouvement de l'ennemi. Trois coups de canon tirés à Tlemcen nous préviendraient que Sidi-Lala paraissait dans la plaine, et nous emportions, nous, des fusées pour faire savoir que nous avions besoin d'être soutenus. Selon toute vraisemblance, l'ennemi ne pourrait pas se montrer avant le point du jour, et nos deux colonnes avaient plusieurs heures d'avance sur lui. La nuit était faite quand nous montâmes à cheval. Je commandais le peloton d'avant-garde. Je me sentais fatigué, j'avais froid; je mis mon manteau, j'en relevai le collet, je chaussai mes étriers, et j'allai tranquillement au grand pas de ma jument, écoutant avec distraction le maréchal des logis Wagner, qui me racontait l'histoire de ses amours malheureusement terminées par la fuite d'une infidèle qui lui avait emporté avec son cœur une montre d’argent et une paire de bottes neuves. Je savais déjà cette histoire et elle me semblait encore plus longue que de coutume. La lune se levait comme nous nous mettions en route. Le ciel était pur, mais du sol s’élevait un petit brouillard blanc, rasant la terre, qui semblait couverte de cardes de coton 17. Sur ce fond blanc, la lune laçait de longues ombres, et tous les objets prenaient un aspect fantastique. Tantôt je croyais voir des cavaliers arabes en vedette18 : en m'approchant je trouvais des tamaris en fleur ;tantôt je m'arrêtais, croyant entendre les coups de canon de signal : Wagner me disait que c'était un cheval qui courait. Nous arrivâmes au gué, et le commandant prit ses dispositions. Le lieu était merveilleux pour la défense, et noire escadron aurait suffi pour arrêter là un corps considérable. Solitude complète de l'autre côté de la rivière. Après une assez longue attente, nous entendîmes le galop d'un cheval, et bientôt parut un Arabe monté sur un magnifique cheval qui se dirigeait vers nous. À son chapeau de paille surmonté de plumes d'autruche, à sa selle brodée d'où pendait une Djebira 19 ornée de corail et de fleurs d'or, on reconnaissait un chef; notre guide nous dit que c'était Sidi-Lala en personne. C'était un beau jeune homme, bien découplé, qui maniait son cheval à merveille. Il le faisait galoper, jetait en l'air son long fusil et le rattrapait en nous criant je ne sais quels mots de défi. Les temps de la chevalerie sont passés, et Wagner demandait un fusil pour décrocher6 le marabout, à ce qu'il disait; mais je m'y opposai et, pour qu'il ne fût pas dit que les Français eussent refusé de combattre en champ clos20 avec un Arabe, je demandai au commandant la permission de passer le gué et de croiser le fer avec Sidi-Lala. La permission me fut accordée, et aussitôt je passai la rivière, tandis que le chef ennemi
Gué : passage d'une rivière où le niveau de l'eau est suffisamment bas pour qu'on puisse traverser à pied. Moulaïa : c'est-à-dire Moulouya, fleuve du Maroc oriental 15 Maghzen : peloton de cavalerie 16 Smala : campement itinérant qui abrite les hommes et la famille d'un chef arabe dans ses déplacements 17 Cardes de coton : ici, duvet blanchâtre 18 En vedette : placés en sentinelle pour observer et renseigner 19 Djebira : gibecière portée suspendue à une selle. Sacoche. 20 Champ clos : arène où avaient lieu les duels et les tournois de chevaliers, au Moyen Âge. 13 14
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s'éloignait au petit galop pour prendre du champ. Dès qu'il me vit sur l'autre bord, il courut sur moi le fusil à l'épaule. - Méfiez-vous », me cria Wagner. Je ne crains guère les coups de fusil d'un cavalier et, après la fantasia 21 qu'il venait d'exécuter, le fusil de Sidi-Lala ne devait pas être en état de faire feu. En effet, il pressa la détente à trois pas de moi, mais le fusil rata, comme je m'y attendais. Aussitôt mon homme fit tourner son cheval de la tète à la queue si rapidement qu'au lieu de lui planter mon sabre dans la poitrine, je n'attrapai que son burnous flottant. Mais je le talonnais de près, le tenant toujours à ma droite et le rabattant bon gré mal gré vers les escarpements qui bordent la rivière. En vain essaya-t-il de faire des crochets, je le serrais de plus en plus. Après quelques minutes d'une course enragée, je vis son cheval se cabrer tout à coup, et lui, tirant les rênes à deux mains. Sans me demander pourquoi il faisait ce mouvement singulier, j'arrivai sur lui comme un boulet, je lui plantai ma latte22 au beau milieu du dos en même temps que le sabot de ma jument frappait sa cuisse gauche. Homme et cheval disparurent ; ma jument et moi, nous tombâmes après eux. Sans nous en être aperçus, nous étions arrivés au bord d'un précipice et nous étions lancés... Pendant que j'étais encore en l’air – la pensée va vite – je me dis que le corps de l’Arabe amortirait ma chute. Je vis distinctement sous moi un burnous blanc avec une grande tache rouge, c’est là que je tombai à pile ou face. Le saut ne fut pas si terrible que je l'avais cru, grâce à la hauteur de l'eau ; j'en eus par-dessus les oreilles, je barbotai un instant tout étourdi, et je ne sais trop comment je me trouvai debout au milieu de grands roseaux au bord de la rivière. Ce qu'étaient devenus Sidi-Lala et les chevaux, je n'en sais rien, fêtais trempé, grelottant, dans la boue, entre deux murs de rochers. Je fis quelques pas. espérant trouver un endroit où les escarpements seraient moins roides; plus j'avançais, plus ils me semblaient abrupts et inaccessibles. Tout à coup, j'entendis au-dessus de ma tète des pas de chevaux et le cliquetis des fourreaux de sabre heurtant contre les étriers et les éperons. Évidemment, c'était notre escadron. Je voulus crier, mais pas un son ne sortit de ma gorge; sans doute, dans ma chute, je m'étais brisé la poitrine. Figurez-vous ma situation ! J'entendais les voix de nos gens, je les reconnaissais, et je ne pouvais les appeler à mon aide. Le vieux Wagner disait : « S'il m'avait laissé faire, il aurait vécu pour être colonel. » Bientôt le bruit diminua, s'affaiblit, je n'entendis plus rien. Au-dessus de ma tête pendait une grosse racine, et j'espérais. en la saisissant, me guinder 23 sur la berge. D'un effort désespéré. je m'élançai, et... sss !... la racine se tord et m'échappe avec un sifflement affreux... C'était un énorme serpent... Je retombai dans l'eau; le serpent, glissant entre mes jambes, se jeta dans la rivière, où il me sembla qu'il laissait comme une traînée de feu... Une minute après, j'avais retrouvé mon sang-froid, et cette lumière tremblotant sur l'eau n'avait pas disparu. C'était, comme je m'en aperçus, le reflet d'une torche. À une vingtaine de pas de moi, une femme emplissait d'une main une cruche à la rivière et de l'autre tenait un morceau de bois résineux qui flambait. Elle ne se doutait pas de ma présence. Elle posa tranquillement sa cruche sur sa tête et, sa torche à la main, disparut dans les roseaux. Je la suivis et me trouvai à l'entrée d'une caverne. La femme s'avançait fort tranquillement et montait une pente assez rapide, une espèce d'escalier taillé contre la paroi d'une salle immense. À la lueur de la torche, je voyais le sol de cette salle qui ne dépassait guère le niveau de la rivière, mais je ne pouvais découvrir quelle en était l'étendue. Sans trop savoir ce que je faisais, je m'engageai sur la rampe après la femme qui portait la torche et je la suivis à distance. De temps en temps, sa lumière disparaissait derrière quelque anfractuosité 24 de rocher, et je la retrouvais bientôt. Je crus apercevoir encore l'ouverture sombre de grandes galeries en communication avec la salle principale. On eût dit une ville souterraine avec ses rues et ses carrefours. Je m'arrêtai, jugeant qu'il était dangereux de m'aventurer seul dans cet immense labyrinthe. Tout à coup, une des galeries au-dessous de moi s'illumina d'une vive clarté. Je vis un grand nombre de flambeaux qui semblaient sortir des flancs du rocher pour former comme une grande procession. En même
Fantasia : exhibition équestre de cavaliers arabes qui exécutent au galop des figures variées en déchargeant leurs armes et en poussant de grands cris. 22 Latte : ancien sabre de cavalerie, à longue lame étroite et droite. 23 Guinder : hisser 24 Anfractuosité : creux d’une roche 21
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temps s'élevait un chant monotone qui rappelait la psalmodie 25 des Arabes récitant leurs prières, Bientôt je distinguai une grande multitude qui s'avançait avec lenteur. En tète marchait un homme noir, presque nu, la tête couverte d'une énorme masse de cheveux hérissés. Sa barbe blanche tombant sur sa poitrine tranchait sur la couleur brune de sa poitrine tailladée de tatouages bleuâtres. Je reconnus aussitôt mon sorcier de la veille, et bientôt après je retrouvai auprès de lui la petite fille qui avait joué le rôle d'Eurydice26, avec ses beaux yeux, ses pantalons de soie et son mouchoir brodé sur la tête. Des femmes, des enfants, des hommes de tout âge les suivaient, tous avec des torches. tous avec des costumes bizarres à couleurs vives, des robes traînantes, de hauts bonnets, quelques-uns en métal, qui reflétaient de tous côtés la lumière des flambeaux. Le vieux sorcier s'arrêta juste au-dessous de moi, et toute la procession avec lui. Il se fit un grand silence. Je me trouvais à une vingtaine de pieds au-dessus de lui. protégé par de grosses pierres derrière lesquelles j'espérais tout voir sans être aperçu. Aux pieds du vieillard, j'aperçus une large dalle à peu près ronde, ayant au centre un anneau de fer. Il prononça quelques mots dans une langue à moi inconnue, qui, je crois en être sûr, n'était ni de l'arabe ni du kabyle. Une corde avec des poulies, suspendue je ne sais où, tomba à ses pieds ; quelques-uns des assistants l'engagèrent dans l'anneau et, à un signal, vingt bras vigoureux faisant effort à la fois, la pierre, qui semblait très lourde, se souleva, et on la rangea de côté. J'aperçus alors comme l'ouverture d'un puits, dont l'eau était à moins d'un mètre du bord. L'eau, ai-je dit, je ne sais quel affreux liquide c'était, recouvert d'une pellicule irisée, interrompue et brisée par places, et laissant voir une boue noire et hideuse. Debout, près de la margelle du puits, le sorcier tenait la main gauche sur la tête de la petite fille, de la droite il faisait des gestes étranges pendant qu'il prononçait une espèce d'incantation au milieu du recueillement général. De temps en temps, il élevait la voix comme s'il appelait quelqu'un : «Djoûmane! Djoûmane!", criait-il; mais personne ne venait. Cependant il roulait les yeux, grinçait des dents et faisait entendre des cris rauques qui ne semblaient pas sortir d'une poitrine humaine. Les mômeries de ce vieux coquin m'agaçaient et me transportaient d'indignation; j'étais tenté de lui jeter sur la tête une des pierres que j'avais sous la main. Pour la trentième fois peut-être il venait de hurler ce nom de Djoûmane. quand je vis trembler la pellicule irisée du puits, et à ce signe toute la foule se rejeta en arrière ; le vieillard et la petite fille demeurèrent seuls au bord du trou. Soudain un gros bouillon de bouc bleuâtre s'éleva du puits, et de cette boue sortit la tête énorme d'un serpent, d'un gris livide, avec des yeux phosphorescents... Involontairement, je fis un haut-le-corps 27 en arrière; j'entendis un petit cri et le bruit d'un corps pesant qui tombait dans l'eau... Quand je reportai la vue en bas. un dixième de seconde après peut-être, j'aperçus le sorcier seul au bord du puits, dont l'eau bouillonnait encore. Au milieu des fragments de la pellicule irisée flottait le mouchoir qui couvrait les cheveux de la petite fille... Déjà la pierre était en mouvement et retombait sur l'ouverture de l'horrible gouffre. Alors tous les flambeaux s'éteignirent à la fois, et je restai dans les ténèbres au milieu d'un silence si profond que j'entendais distinctement les battements de mon cœur... Des que je fus un peu remis de cette horrible scène, je voulus sortir de la caverne, jurant que si je parvenais à rejoindre mes camarades, je reviendrais exterminer les abominables hôtes de ces lieux, hommes et serpents. Il s'agissait de trouver son chemin; j'avais fait, à ce que je croyais, une centaine de pas dans l'intérieur de la caverne, ayant le mur de rocher à ma droite. Je fis demi-tour, mais je n'aperçus aucune lumière qui indiquât l'ouverture du souterrain ; mais il ne s'étendait pas en ligne droite, et, d'ailleurs, j'avais toujours monté depuis le bord de la rivière; de ma main gauche je tâtais le rocher, de la droite je tenais mon sabre et sondais le terrain, avançant lentement et avec précaution. Pendant un quart d'heure, vingt minutes... une demi-heure peut-être, je marchai sans trouver l'entrée. L'inquiétude me prit. Me serais-je engagé sans m'en apercevoir dans quelque galerie latérale au lieu de
Psalmodie : manière monotone de dire ou chanter les textes religieux. Eurydice : dans la mythologie grecque, épouse du poète Orphée mordue par un serpent 27 Haut-le-corps : mouvement brusque du buste vers,le haut marquant une vive surprise, l'indignation ou la révolte. 25 26
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revenir par le chemin afin que j'avais suivi d'abord?... J'avançais toujours, tâtant le rocher, lorsque au lieu du froid de la pierre je sentis une tapisserie, qui, cédant sous ma main, laissa échapper un rayon de lumière. Redoublant de précaution, j'écartai sans bruit la tapisserie et me trouvai dans un petit couloir qui donnait dans une chambre fort éclairée dont la porte était ouverte. Je vis que cette chambre était tendue d'une étoffe à fleurs de soie et d'or. Je distinguai un tapis de Turquie, un bout de divan en velours. Sur le tapis, il y avait un narguilhé 28 d'argent et des cassolettes29. Bref, un appartement somptueusement meublé dans le goût arabe. Je m'approchai à pas de loup jusqu'à la porte. Une jeune femme était accroupie sur ce divan, près duquel était posée une petite table basse en marqueterie, supportant un grand plateau de vermeil charge de tasses, de flacons et de bouquets de fleurs. En entrant dans ce boudoir30 souterrain, on se sentait enivré de je ne sais quel parfum délicieux. Tout respirait la volupté dans ce réduit: partout je voyais briller de l'or, de riches étoffes, des fleurs rares et des couleurs variées. D'abord, la jeune femme ne m'aperçut pas ; elle penchait la tête et d'un air pensif roulait entre ses doigts les grains d'ambre jaune d'un long chapelet. C'était une vraie beauté. Ses traits ressemblaient à ceux de la malheureuse enfant que je venais de voir, mais plus formés, plus réguliers, plus voluptueux. Noire comme l'aile d'un corbeau, sa chevelure, Longue comme un manteau de roi. s'étalait sur ses épaules, sur le divan et jusque sur le tapis à ses pieds. Une chemise de soie transparente, à larges raies, laissait deviner des bras et une gorge admirables. Une veste de velours soutachée d'or serrait sa taille. Et de ses pantalons courts en satin bleu sortait un pied merveilleusement petit, auquel était suspendue une babouche dorée qu'elle faisait danser d'un mouvement capricieux et plein de grâce. Mes bottes craquèrent, elle releva la tête et m'aperçut. Sans se déranger, sans montrer la moindre surprise de voir entrer chez elle un étranger le sabre à la main, elle frappa dans ses mains avec joie et me fit signe d'approcher. Je la saluai en portant la main à mon cœur et à ma tête pour lui montrer que j'étais au fait de l'étiquette musulmane. Elle me sourit, et de ses deux mains écarta ses cheveux qui couvraient le divan; c'était me dire de prendre place à côté d'elle. Je crus que tous les parfums de l'Arabie sortaient de ces beaux cheveux. D'un air modeste, je m'assis à l'extrémité du divan en me promettant bien de me rapprocher tout à l'heure. Elle prit une tasse sur le plateau et, la tenant par la soucoupe en filigrane 31, elle y versa une mousse de café et, après l'avoir effleurée de ses lèvres, elle me la présenta : « Ah ! Roumi, Roumi32 ! ... dit-elle. - Est-ce que nous ne tuons pas le ver 33, mon lieutenant?... » À ces mots, j'ouvris les yeux comme des portes cochères. Cette jeune femme avait des moustaches
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énormes, c'était le vrai portrait du maréchal des logis Wagner... En effet, Wagner était debout devant moi et me présentait une tasse de café, tandis que, couché sur le cou de mon cheval, je le regardais tout ébaubi : «Il paraît que nous avons pioncé tout de même, mon lieutenant. Nous voilà au gué et le café est bouillant. »
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1. Travail sur la narration Qui est le narrateur ? Appartient-il à l’histoire ? Quelle est la focalisation ? Quels sont les temps du texte ? A quel genre appartient ce texte ? Que raconte le narrateur ? 2. Travail sur les éléments fantastiques
Narguilhé : pipe orientale à long tuyau. Cassolettes : boîtes métalliques ajourées dans lesquelles on fait brûler des parfums DU de l'encens. 30 Boudoir : petit salon élégant de dame. 31 Filigrane : fait de fils de métal ou de verre entrelacés. 32 Roumi : nom donné par les musulmans aux chrétiens (vient de-romain»). 33 Nous ne tuons pas le ver : nous ne buvons pas. L'expression est argotique et au XIXème siècle, signifie boire du vin blanc, le matin, à jeun, parfois coupé d'un peu de cassis (le blanc-cassis). Un tel régime était supposé avoir des propriétés vermifuges. Ici, l'expression renvoie au café chaud servi par Wagner. 28 29
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Relevez tous les éléments étranges du texte. En quoi cette nouvelle est-elle proche aussi du récit d’aventures ? 3. Travail sur le rêve Quels sont les signes évidents qui indiquent qu’il s’agit d’un récit de rêve ? Quels rapports pouvez-vous établir entre le rêve du narrateur et ce qu’il a vécu dans la journée ? Quels sont les sentiments profonds du narrateur qui apparaissent dans le rêve, bien plus que dans l’expérience diurne ? Ce texte est-il fantastique ? Pourquoi ?
Travail sur la narration Qui est le narrateur ? Appartient-il à l’histoire ? Quelle est la focalisation ? Quels sont les temps du texte ? A quel genre appartient ce texte ? Que raconte le narrateur ? 1. Travail sur les éléments fantastiques Relevez tous les éléments étranges du texte. En quoi cette nouvelle est-elle proche aussi du récit d’aventures ? 2. Travail sur le rêve Quels sont les signes évidents qui indiquent qu’il s’agit d’un récit de rêve ? Quels rapports pouvez-vous établir entre le rêve du narrateur et ce qu’il a vécu dans la journée ? Quels sont les sentiments profonds du narrateur qui apparaissent dans le rêve, bien plus que dans l’expérience diurne ? Ce texte est-il fantastique ? Pourquoi
Travail sur la narration Qui est le narrateur ? Appartient-il à l’histoire ? Quelle est la focalisation ? Quels sont les temps du texte ? A quel genre appartient ce texte ? Que raconte le narrateur ? 1. Travail sur les éléments fantastiques Relevez tous les éléments étranges du texte. En quoi cette nouvelle est-elle proche aussi du récit d’aventures ? 2. Travail sur le rêve Quels sont les signes évidents qui indiquent qu’il s’agit d’un récit de rêve ? Quels rapports pouvez-vous établir entre le rêve du narrateur et ce qu’il a vécu dans la journée ? Quels sont les sentiments profonds du narrateur qui apparaissent dans le rêve, bien plus que dans l’expérience diurne ? Ce texte est-il fantastique ? Pourquoi ?
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2ème heure : Auguste Villiers de L’Isle-Adam, Véra, 1874, in Contes cruels ; Nouveaux contes cruels 1. Travail sur la narration Qui est le narrateur ? Appartient-il à l’histoire ? Quelle est la focalisation ? Le narrateur est le plus souvent le personnage principal, le comte. Comme il appartient à l’histoire, la focalisation est interne. On connaîtra donc toutes les pensées du personnage. Parfois, le narrateur est externe à l’histoire, comme s’il était témoin : focalisation zéro. (omnisciente) Que raconte le narrateur ? Faites un résumé de 5-6 lignes. Le narrateur raconte sa déchéance psychologique et son aventure fantastique : sa femme est morte, il se remet mal de ce décès, et vit reclus comme si sa femme était encore vivante. Le jour du premier anniversaire de la mort de sa femme, il sent sa femme à côté de lui, comme si elle était vivante. Lorsque le narrateur raconte l’histoire, où est sa femme ? Elle est morte, met il fait des retours en arrière. Il se souvient un peu du temps passé. Mais comme il parle à sa femme, on a l’impression qu’elle est vivante. Quelle est la valeur des retours en arrière dans le texte ? Pourquoi le narrateur mélange-t-il temps actuel et temps passé ? On est perdu, on ne sait plus si sa femme est vraiment morte, cela accentue le côté étrange et bizarre du texte. Faites un portrait psychologique du narrateur. Il est seul, triste, dépressif, malheureux…fou amoureux de sa femme, il ne veut pas reconnaître la mort de sa femme. 2. Travail sur les éléments fantastiques Relevez tous les éléments étranges du texte. La femme morte communique malgré tout avec son mari, par les odeurs, les bruits. Elle est à la fois fantôme et morte-vivante, puisque, à la fin, sa femme lui donne la clé du tombeau, ce qui est impossible, puisqu’elle est morte. «l’imaginaire et le réel étaient identiques » l147 Qu’est-ce qui vient renforcer le fantastique de ce texte ? L’ambiance : c’est le soir, à la nuit tombée, donc il fait sombre, propice aux fantômes : ardente et blanche vision l238 C’est un jour anniversaire, donc propice aux souvenirs On a l’impression que le narrateur, le comte se perd dans sa douleur, qu’il devient fou. Voir le passage avec le serviteur La chute du texte : la clé du tombeau : on ne sait pas à quoi elle va servir, mais on se doute que le comte va s’en servir pour rejoindre sa femme. La psychologie du personnage : il devient fou Le genre fantastique remonterait à la fin du XVIIIème, et a été introduit en Europe par Hoffmann. Il se développe en France au XIXème siècle. Le genre évolue alors, mêlant fantastique allemand (hoffmannien) et romantique : suppression peu à peu de la frontière entre rêve et réalité (Djoûmane de Mérimée), lisière entre la vie et la mort devenant incertaine, (Véra de Villiers d’ Adam), transformation des hommes en animaux (le monstre vert de Nerval), les objets inanimés prennent vie (la vénus d’Ille)… Deux personnages font leur apparition : les monstres et les fantômes. Les lieux sont les cimetières, les maisons hantées, les manoirs abandonnés, tout ce qui peut créer une atmosphère d’horreur. Tout se passe presque la nuit. A la fin du XIX, Baudelaire traduit Edgar Allan Poe : c’est une nouvelle ère du fantastique, où on assiste à des personnages solitaires, ou écartés du monde, pris par leurs démons intérieurs : folie, doute… Les textes de Maupassant annoncent Stephen King XXème siècle.
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A Madame la comtesse d'Osmoy La forme du corps lui est plus essentielle que sa substance. La Physiologie moderne.
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L'amour est plus fort que la Mort, a dit Salomon : oui, son mystérieux pouvoir est illimité. C'était à la tombée d'un soir d'automne, en ces dernières années, à Paris. Vers le sombre faubourg Saint−Germain, des voitures, allumées déjà, roulaient, attardées, après l'heure du Bois. L'une d'elles s'arrêta devant le portail d'un vaste hôtel seigneurial, entouré de jardins séculaires ; le cintre était surmonté de l'écusson de pierre, aux armes de l'antique famille des comtes d'Athol, savoir : d'azur, à l'étoile abîmée d'argent, avec la devise "PALLIDA VICTRIX", sous la couronne retroussée d'hermine au bonnet princier. Les lourds battants s'écartèrent. Un homme de trente à trente−cinq ans, en deuil, au visage mortellement pâle, descendit. Sur le perron, de taciturnes serviteurs élevaient des flambeaux. Sans les voir, il gravit les marches et entra. C'était le comte d'Athol. Chancelant, il monta les blancs escaliers qui conduisaient à cette chambre où le matin même, il avait couché dans un cercueil de velours et enveloppé de violettes, en des flots de batiste, sa dame de volupté, sa pâlissante épousée, Véra, son désespoir. En haut, la douce porte tourna sur le tapis ; il souleva la tenture. Tous les objets étaient à la place où la comtesse les avait laissés la veille. La Mort, subite, avait foudroyé. La nuit dernière, sa bien−aimée s'était évanouie en des joies si profondes, s'était perdue en de si exquises étreintes, que son coeur, brisé de délices, avait défailli : ses lèvres s'étaient brusquement mouillées d'une pourpre mortelle. A peine avait−elle eu le temps de donner à son époux un baiser d'adieu, en souriant, sans une parole : puis ses longs cils, comme des voiles de deuil, s'étaient abaissés sur la belle nuit de ses yeux. La journée sans nom était passée. Vers midi, le comte d'Athol, après l'affreuse cérémonie du caveau familial, avait congédié au cimetière la noire escorte. Puis, se renfermant, seul, avec l'ensevelie, entre les quatre murs de marbre, il avait tiré sur lui la porte de fer du mausolée. − De l'encens brûlait sur un trépied, devant le cercueil ; − une couronne lumineuse de lampes, au chevet de la jeune défunte, l'étoilait. Lui, debout, songeur, avec l'unique sentiment d'une tendresse sans espérance, était demeuré là, tout le jour. Sur les six heures, au crépuscule, il était sorti du lieu sacré. En renfermant le sépulcre, il avait arraché de la serrure la clef d'argent, et, se haussant sur la dernière marche du seuil, il l'avait jetée doucement dans l'intérieur du tombeau. Il l'avait lancée sur les dalles intérieures par le trèfle qui surmontait le portail. − Pourquoi ceci ? ... A coup sûr d'après quelque résolution mystérieuse de ne plus revenir. Et maintenant il revoyait la chambre veuve. La croisée, sous les vastes draperies de cachemire mauve broché d'or, était ouverte : un dernier rayon du soir illuminait, dans un cadre de bois ancien, le grand portrait de la trépassée. Le comte regarda, autour de lui, la robe jetée, la veille, sur un fauteuil ; sur la cheminée, les bijoux, le collier de perles, l'éventail à demi fermé, les lourds flacons de parfums qu'Elle ne respirerait plus. Sur le lit d'ébène aux colonnes tordues, resté défait, auprès de l'oreiller où la place de la tête adorée et divine était visible encore au milieu des dentelles, il aperçut le mouchoir rougi de gouttes de sang où sa jeune âme avait battu de l'aile un instant ; le piano ouvert, supportant une mélodie inachevée à jamais ; les fleurs indiennes cueillies par elle, dans la serre, et qui se mouraient dans de vieux vases de Saxe ; et, au pied du lit, sur une fourrure noire, les petites mules de velours oriental, sur lesquelles une devise rieuse de Véra brillait, brodée en perles : Qui verra Véra l'aimera. Les pieds 20
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nus de la bien−aimée y jouaient hier matin, baisés, à chaque pas, par le duvet des cygnes ! − Et là, là, dans l'ombre, la pendule, dont il avait brisé le ressort pour qu'elle ne sonnât plus d'autres heures. Ainsi elle était partie ! ... Où donc ! ... Vivre maintenant ? − Pour quoi faire ? ... C'était impossible, absurde. Et le comte s'abîmait en des pensées inconnues. Il songeait à toute l'existence passée. − Six mois s'étaient écoulés depuis ce mariage. N'était-ce pas à l'étranger, au bal d'une ambassade qu'il l'avait vue pour la première fois ? ... Oui. Cet instant ressuscitait devant ses yeux, très distinct. Elle lui apparaissait là, radieuse. Ce soir−là, leurs regards s'étaient rencontrés. Ils s'étaient reconnus, intimement, de pareille nature, et devant s'aimer à jamais. Les propos décevants, les sourires qui observent, les insinuations, toutes les difficultés que suscite le monde pour retarder l'inévitable félicité de ceux qui s'appartiennent, s'étaient évanouis devant la tranquille certitude qu'ils eurent, à l'instant même, l'un de l'autre. Véra, lassée des fadeurs cérémonieuses de son entourage, était venue vers lui dès la première circonstance contrariante, simplifiant ainsi, d'auguste façon, les démarches banales où se perd le temps précieux de la vie. Oh ! comme, aux premières paroles, les vaines appréciations des indifférents à leur égard leur semblèrent une volée d'oiseaux de nuit rentrant dans les ténèbres ! Quel sourire ils échangèrent ! Quel ineffable embrassement ! Cependant leur nature était des plus étranges, en vérité ! − C'étaient deux êtres doués de sens merveilleux, mais exclusivement terrestres. Les sensations se prolongeaient en eux avec une intensité inquiétante. Ils s'y oubliaient eux−mêmes à force de les éprouver. Par contre, certaines idées, celles de l'âme, par exemple, de l'Infini, de Dieu même, étaient comme voilées à leur entendement. La foi d'un grand nombre de vivants aux choses surnaturelles n'était pour eux qu'un sujet de vagues étonnements : lettre close dont ils ne se préoccupaient pas, n'ayant pas qualité pour condamner ou justifier. − Aussi, reconnaissant bien que le monde leur était étranger, ils s'étaient isolés, aussitôt leur union, dans ce vieux et sombre hôtel, où l'épaisseur des jardins amortissait les bruits du dehors. Là, les deux amants s'ensevelirent dans l'océan de ces joies languides et perverses où l'esprit se mêle à la chair mystérieuse ! Ils épuisèrent la violence des désirs, les frémissements et les tendresses éperdues. Ils devinrent le battement de l'être l'un de l'autre. En eux, l'esprit pénétrait si bien le corps, que leurs formes leur semblaient intellectuelles, et que les baisers, mailles brûlantes, les enchaînaient dans une fusion idéale. Long éblouissement ! Tout à coup, le charme se rompait ; l'accident terrible les désunissait ; leurs bras s'étaient désenlacés. Quelle ombre lui avait pris sa chère morte ? Morte ! non. Est-ce que l'âme des violoncelles est emportée dans le cri d'une corde qui se brise ? Les heures passèrent. Il regardait, par la croisée, la nuit qui s'avançait dans les cieux : et la Nuit lui apparaissait personnelle ; − elle lui semblait une reine marchant, avec mélancolie, dans l'exil, et l'agrafe de diamant de sa tunique de deuil, Vénus, seule, brillait, au−dessus des arbres, perdue au fond de l'azur. − C'est Véra, pensa−t−il. A ce nom, prononcé tout bas, il tressaillit en homme qui s'éveille ; puis, se dressant, regarda autour de lui. Les objets, dans la chambre, étaient maintenant éclairés par une lueur jusqu'alors imprécise, celle d'une veilleuse, bleuissant les ténèbres, et que la nuit, montée au firmament, faisait apparaître ici comme un autre étoile. C'était la veilleuse, aux senteurs d'encens, d'un iconostase, reliquaire familial de Véra. Le triptyque, d'un vieux bois précieux, était suspendu, par sa sparterie russe, 21
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entre la glace et le tableau. Un reflet des ors de l'intérieur tombait, vacillant, sur le collier, parmi les joyaux de la cheminée. Le plein nimbe de la Madone en habits de ciel brillait, rosacé de la croix byzantine dont les fins et rouges linéaments, fondus dans le reflet, ombraient d'une teinte de sang l'orient ainsi allumé des perles. Depuis l'enfance, Véra plaignait, de ses grands yeux, le visage maternel et si pur de l'héréditaire madone, et, de sa nature, hélas ! ne pouvant lui consacrer qu'un superstitieux amour, le lui offrait parfois, naïve, pensivement, lorsqu'elle passait devant la veilleuse. Le comte, à cette vue, touché de rappels douloureux jusqu'au plus secret de l'âme, se dressa, souffla vite la lueur sainte, et, à tâtons, dans l'ombre, étendant la main vers une torsade, sonna. Un serviteur parut : c'était un vieillard vêtu de noir ; il tenait une lampe, qu'il posa devant le portrait de la comtesse. Lorsqu'il se retourna, ce fut avec un frisson de superstitieuse terreur qu'il vit son maître debout et souriant comme si rien ne se fût passé. − Raymond, dit tranquillement le comte, ce soir, nous sommes accablés de fatigue, la comtesse et moi ; tu serviras le souper vers dix heures. − A propos, nous avons résolu de nous isoler davantage, ici, dès demain. Aucun de mes serviteurs, hors toi, ne doit passer la nuit dans l'hôtel. Tu leur remettras les gages de trois années, et qu'ils se retirent. − Puis, tu fermeras la barre du portail ; tu allumeras les flambeaux en bas, dans la salle à manger ; tu nous suffiras. − Nous ne recevrons personne à l'avenir. Le vieillard tremblait et le regardait attentivement. Le comte alluma un cigare et descendit aux jardins. Le serviteur pensa d'abord que la douleur trop lourde, trop désespérée, avait égaré l'esprit de son maître. Il le connaissait depuis l'enfance ; il comprit, à l'instant, que le heurt d'un réveil trop soudain pouvait être fatal à ce somnambule. Son devoir, d'abord, était le respect d'un tel secret. Il baissa la tête. Une complicité dévouée à ce religieux rêve ? Obéir ? ... Continuer de les servir sans tenir compte de la Mort ? − Quelle étrange idée ! ... Tiendrait−elle une nuit ? ... Demain, demain, hélas ! ... Ah ! qui savait ? ... Peut−être ! ... − Projet sacré, après tout ! − De quel droit réfléchissait−il ? ... Il sortit de la chambre, exécuta les ordres à la lettre et, le soir même, l'insolite existence commença. Il s'agissait de créer un mirage terrible. La gêne des premiers jours s'effaça vite. Raymond, d'abord avec stupeur, puis par une sorte de déférence et de tendresse, s'était ingénié si bien à être naturel, que trois semaines ne s'étaient pas écoulées qu'il se sentit, par moments, presque dupe lui−même de sa bonne volonté. L'arrière−pensée pâlissait ! Parfois, éprouvant une sorte de vertige, il eut besoin de se dire que la comtesse était positivement défunte. Il se prenait à ce jeu funèbre et oubliait à chaque instant la réalité. Bientôt il lui fallut plus d'une réflexion pour se convaincre et se ressaisir. Il vit bien qu'il finirait par s'abandonner tout entier au magnétisme effrayant dont le comte pénétrait peu à peu l'atmosphère autour d'eux. Il avait peur, une peur indécise, douce. D'Athol, en effet, vivait absolument dans l'inconscience de la mort de sa bien−aimée ! Il ne pouvait que la trouver toujours présente, tant la forme de la jeune femme était mêlée à la sienne. Tantôt, sur un banc du jardin, les jours de soleil, il lisait, à haute voix, les poésies qu'elle aimait ; tantôt, le soir, auprès du feu, les deux tasses de thé sur un guéridon, il causait avec l'Illusion souriante, assise, à ses yeux, sur l'autre fauteuil. Les jours, les nuits, les semaines s'envolèrent. Ni l'un ni l'autre ne savait ce qu'ils accomplissaient. Et des phénomènes singuliers se passaient maintenant, où il devenait difficile de distinguer le point où l'imaginaire et le réel étaient identiques. Une présence flottait dans l'air : une forme s'efforçait de transparaître, de se tramer sur l'espace devenu indéfinissable. D'Athol vivait double, en illuminé. Un visage doux et pâle, entrevu comme l'éclair, entre deux clins 22
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d'yeux ; un faible accord frappé au piano, tout à coup ; un baiser qui lui fermait la bouche au moment où il allait parler, des affinités de pensées féminines qui s'éveillaient en lui en réponse à ce qu'il disait, un dédoublement de lui−même tel, qu'il sentait, comme en un brouillard fluide, le parfum vertigineusement doux de sa bien−aimée auprès de lui, et, la nuit, entre la veille et le sommeil, des paroles entendues très bas : tout l'avertissait. C'était une négation de la Mort élevée, enfin, à une puissance inconnue ! Une fois, d'Athol la sentit et la vit si bien auprès de lui, qu'il la prit dans ses bras : mais ce mouvement la dissipa. − Enfant ! murmura-t-il en souriant. Et il se rendormit comme un amant boudé par sa maîtresse rieuse et ensommeillée. Le jour de sa fête, il plaça, par plaisanterie, une immortelle dans le bouquet qu'il jeta sur l'oreiller de Véra. − Puisqu'elle se croit morte, dit-il. Grâce à la profonde et toute−puissante volonté de M. d'Athol, qui, à force d'amour, forgeait la vie et la présence de sa femme dans l'hôtel solitaire, cette existence avait fini par devenir d'un charme sombre et persuadeur. − Raymond, lui−même, n'éprouvait plus aucune épouvante, s'étant graduellement habitué à ces impressions. Une robe de velours noir aperçu au détour d'une allée ; une voix rieuse qui l'appelait dans le salon ; un coup de sonnette le matin, à son réveil, comme autrefois ; tout cela lui était devenu familier : on eût dit que la morte jouait à l'invisible, comme une enfant. Elle se sentait aimée tellement ! C'était bien naturel. Une année s'était écoulée. Le soir de l'Anniversaire, le comte, assis auprès du feu, dans la chambre de Véra, venait de lui lire un fabliau florentin : Callimaque. Il ferma le livre ; puis en se servant du thé : − Douschka, dit-il, te souviens-tu de la Vallée-des-Roses, des bords de la Lahn, du château des Quatre−Tours ? ... Cette histoire te les a rappelés, n'est−ce pas ? Il se leva, et, dans la glace bleuâtre, il se vit plus pâle qu'à l'ordinaire. Il prit un bracelet de perles dans une coupe et regarda les perles attentivement. Véra ne les avait−elle pas ôtées de son bras, tout à l'heure, avant de se dévêtir ? Les perles étaient encore tièdes et leur orient plus adouci, comme par la chaleur de sa chair. Et l'opale de ce collier sibérien, qui aimait aussi le beau sein de Véra jusqu'à pâlir, maladivement, dans son treillis d'or, lorsque la jeune femme l'oubliait pendant quelque temps ! Autrefois, la comtesse aimait pour cela cette pierrerie fidèle ! ... Ce soir l'opale brillait comme si elle venait d'être quittée et comme si le magnétisme exquis de la belle morte la pénétrait encore. En reposant le collier et la pierre précieuse, le comte toucha par hasard le mouchoir de batiste dont les gouttes de sang étaient humides et rouges comme des oeillets sur de la neige ! ... Là, sur le piano, qui donc avait tourné la page finale de la mélodie d'autrefois ? Quoi ! la veilleuse sacrée s'était rallumée, dans le reliquaire ! Oui, sa flamme dorée éclairait mystiquement le visage, aux yeux fermés, de la Madone ! Et ces fleurs orientales, nouvellement cueillies, qui s'épanouissaient là, dans les vieux vases de Saxe, quelle main venait de les y placer ? La chambre semblait joyeuse et douée de vie, d'une façon plus significative et plus intense que d'habitude. Mais rien ne pouvait surprendre le comte ! Cela lui semblait tellement normal, qu'il ne fit même pas attention que l'heure sonnait à cette pendule arrêtée depuis une année. Ce soir−là, cependant, on eût dit que, du fond des ténèbres, la comtesse Véra s'efforçait adorablement de revenir dans cette chambre tout embaumée d'elle ! Elle y avait laissé tant de sa personne ! Tout ce qui avait constitué son existence l'y attirait. Son charme y flottait ; les longues violences faites par la volonté passionnée de son époux y devaient avoir desserré les vagues liens de l'Invisible autour d'elle ! ... Elle y était nécessitée. Tout ce qu'elle aimait, c'était là. Elle devait avoir envie de venir se sourire encore en cette glace mystérieuse où elle avait tant de 23 là−bas, avait tressailli, certes, dans ses violettes, fois admiré son lilial visage ! La douce morte,
Qui est le narrateur ? Appartient-il à l’histoire ? Quelle est la focalisation ? Que raconte le narrateur ? Faites un résumé de 5-6 lignes. Lorsque le narrateur raconte l’histoire, où est sa femme ? Quelle est la valeur des retours en arrière dans le texte ? Pourquoi le narrateur mélange-t-il temps actuel et temps passé ? Faites un portrait psychologique du narrateur. Relevez tous les éléments étranges du texte. Qu’est-ce qui vient renforcer le fantastique de ce texte ?
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− Oh ! murmura-t-il, c'est donc fini ! − Perdue ! ... Toute seule ! − Quelle est la route, maintenant, pour parvenir jusqu'à toi ? Indique-moi le chemin qui peut me conduire vers toi ! ... Soudain, comme une réponse, un objet brillant tomba du lit nuptial, sur la noire fourrure, avec un bruit métallique : un rayon de l'affreux jour terrestre l'éclaira ! ... L'abandonné se baissa, le saisit, et un sourire sublime illumina son visage en reconnaissant cet objet : c'était la clef du tombeau. Auguste Villiers de L’Isle-Adam, Véra, 1874, in Contes cruels ; Nouveaux contes cruels
Qui est le narrateur ? Appartient-il à l’histoire ? Quelle est la focalisation ? Que raconte le narrateur ? Faites un résumé de 5-6 lignes. Lorsque le narrateur raconte l’histoire, où est sa femme ? Quelle est la valeur des retours en arrière dans le texte ? Pourquoi le narrateur mélange-t-il temps actuel et temps passé ? Faites un portrait psychologique du narrateur. Relevez tous les éléments étranges du texte. Qu’est-ce qui vient renforcer le fantastique de ce texte ?
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− Oh ! murmura-t-il, c'est donc fini ! − Perdue ! ... Toute seule ! − Quelle est la route, maintenant, pour parvenir jusqu'à toi ? Indique-moi le chemin qui peut me conduire vers toi ! ... Soudain, comme une réponse, un objet brillant tomba du lit nuptial, sur la noire fourrure, avec un bruit métallique : un rayon de l'affreux jour terrestre l'éclaira ! ... L'abandonné se baissa, le saisit, et un sourire sublime illumina son visage en reconnaissant cet objet : c'était la clef du tombeau. Auguste Villiers de L’Isle-Adam, Véra, 1874, in Contes cruels ; Nouveaux contes cruels
Qui est le narrateur ? Appartient-il à l’histoire ? Quelle est la focalisation ? Que raconte le narrateur ? Faites un résumé de 5-6 lignes. Lorsque le narrateur raconte l’histoire, où est sa femme ? Quelle est la valeur des retours en arrière dans le texte ? Pourquoi le narrateur mélange-t-il temps actuel et temps passé ? Faites un portrait psychologique du narrateur. Relevez tous les éléments étranges du texte. Qu’est-ce qui vient renforcer le fantastique de ce texte ?
SEQUENCE 3: Ah !!! Quel bouquet fantastique !!! 24
Séance 4 : fantômes et monstres fantastiques En quoi monstres et fantômes sont-ils des composantes incontournables du fantastique ? Objectif : analyser deux personnages clés du fantastique Dominante Supports Savoir Savoir-faire LM Extrait de Kafka et LM de Verne Travail en autonomie Tps : 2H Travail en autonomie à partir de deux polycopiés, pendant une heure, la classe coupée en deux Puis mise en commun, et correction Monstres et fantômes deviennent rapidement des apanages pour les écrivains fantastiques : ils permettent de laisser libre cours à l’imagination du lecteur, comme de l’auteur. Diables, vampires, monstres en tout genre symbolisent le Mal. Le fantôme assure le lien entre le passé et le présent, entre le monde de vivants et celui des morts. Tout cela n’est explicable, ni rationnel, ni possible. C’est donc du fantastique.
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« Un matin, au sortir d'un rêve agité, Grégoire Samsa s'éveilla transformé dans son lit en une formidable vermine. Il était couché sur le dos, un dos dur comme une cuirasse, et, en levant un peu la tête, il s'aperçut qu'il avait un ventre brun en forme de voûte divisé par des nervures arquées. La couverture à peine retenue par le sommet de cet édifice était près de tomber complètement, et les pattes de Grégoire, pitoyablement minces pour son gros corps, papillotaient devant ses yeux. « Que m'est-il arrivé » pensa-t-il. Ce n'était pourtant pas un rêve : Sa chambre, une vraie chambre d'homme quoique un peu petite à vrai dire, se tenait bien sage entre ses quatre murs habituels. Audessus de la table où s'étalait da collection d'échantillons de drap - Grégoire était voyageur de commerce - on pouvait toujours voir la gravure qu'il avait découpée récemment dans un magazine et entourée d'un joli cadre doré. Cette image représentait une dame assise bien droit, avec une toque et un tour de cou en fourrure; elle offrait aux regards des amateurs un lourd manchon dans lequel son bras s'engouffrait jusqu'au coude. Grégoire regarda par la fenêtre; on entendait des gouttes de pluie sur le zinc; ce temps brouillé le rendit tout mélancolique : « Si je me rendormais encore un peu pour oublier toutes ces bêtises », pensa-t-il; mais c'était absolument impossible; il avait l'habitude de dormir sur le côté droit et ne pouvait arriver dans sa situation présente a adopter la position voulue. Il avait beau essayer de se jeter violemment sur le flanc, il revenait toujours sur le dos avec un petit mouvement de balançoire. Il essaya bien cent fois en fermant les yeux, pour ne pas voir les vibrations de ses jambes, et n'abandonna la partie qu'en ressentant au côté une douleur sourde qu'il n'avait jamais éprouvée. « Quel métier, pensa-t-il, quel métier ai-je été choisir ! Tous les jours en voyage ! Des ennuis pires que dans le commerce de mes parents! et par-dessus le marché, cette plaie des voyages : les changements de train, les correspondances qu'on rate, les mauvais repas qu'il faut prendre n'importe quand; à chaque instant, des têtes nouvelles, des gens qu'on ne reverra jamais, avec lesquels il n'y a pas moyen d'être camarades ! Que le diable emporte la boîte! » Il sentit une petite démangeaison en haut du ventre, s'approcha un peu plus du bois de lit - en se traînant lentement sur le dos - pour pouvoir mieux lever la tête, et aperçut à l'endroit qui se démangeait toute une série de petits points blancs auxquels il ne comprit rien; il essaya de tâter l'endroit avec une de ses pattes, mais il dut la retirer bien vite, car ce contact lui donnait des frissons glacés. Il reprit sa position primitive. Il n'y a rien d'aussi abrutissant, pensa-t-il, que de se lever toujours si tôt. L'homme a besoin de son sommeil. Et dire qu'il y a des voyageurs qui vivent comme des femmes de harem ! Quand je retourne à l'hôtel, l'après-midi, pour noter les commandes, je trouve ces messieurs qui n'en sont encore qu'à leur petit déjeuner. Je voudrais voir ce que dirait mon chef si j'essayais chose pareille; je serais congédié immédiatement. Qui sait d'ailleurs si ce ne serait pas une bonne affaire ! Si je ne me retenais à cause de mes parents, il y a longtemps que j'aurais donné ma démission, je serais allé trouver le patron et je ne lui aurais pas mâché les choses. Il en serait tombé de son bureau. Voilà encore une drôle de manière : s'asseoir sur le bureau pour parler aux employés du haut d'un trône, surtout quand on est dur d'oreille et qu'il faut que les gens s'approchent tout près! Enfin, tout espoir n'est pas perdu; une fois que j'aurai réuni la somme que mes parents lui doivent - cela pourrait bien durer cinq ou six ans - je ferai certainement la chose. Et alors, un point, je tourne la page. En attendant, il faut me lever pour le train de cinq heures. » F Kafka La métamorphose
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TEXTE 2 1
« Je regardai à mon tour, et je ne pus réprimer un mouvement de répulsion. Devant mes yeux s'agitait un monstre horrible, digne de figurer dans les légendes tératologiques 34. C'était un calmar de dimensions colossales, ayant huit mètres de longueur. Il marchait à reculons avec une extrême vélocité 35dans la direction du Nautilus. 5 Il regardait de ses énormes yeux fixes à teintes glauques. Ses huit bras, ou plutôt ses huit pieds, implantés sur sa tête, qui ont valu à ces animaux le nom de céphalopodes, avaient un développement double de son corps et se tordaient comme la chevelure des Furies 36. On voyait distinctement les deux cent cinquante ventouses disposées sur la face interne des tentacules sous forme de capsules semi- sphériques. Parfois ces ventouses s'appliquaient sur la vitre du salon en y faisant le vide. La 10 bouche de ce monstre - un bec de corne fait comme le bec d'un perroquet - s'ouvrait et se refermait verticalement. Sa langue, substance cornée, armée elle- même de plusieurs rangées de dents aiguës, sortait en frémissant de cette véritable cisaille. Quelle fantaisie de la nature ! Un bec d'oiseau à un mollusque! Son corps, fusiforme et renflé dans sa partie moyenne, formait une masse charnue qui devait peser vingt à vingt-cinq mille kilogrammes. Sa couleur inconstante, 15 changeant avec une extrême rapidité suivant l'irritation de l'animal, passait successivement du gris livide au brun rougeâtre. De quoi s’irritait ce mollusque ? Sans doute de la présence de ce Nautilus, plus formidable que lui, et sur lequel ses bras suceurs ou ses mandibules n’avaient aucune prise. Et cependant, quels monstres que ces poulpes, quelle vitalité le créateur leur a départie, quelle vigueur dans leurs 20 mouvements, puisqu’ils possèdent trois cœurs. » Jules Verne Vingt mille lieues sous les mers, Deuxième partie – XVIII
tératologiques : légendes relatives à l’histoire des monstres ( dragon, licorne..) Vélocité : rapidité 36 Furies : divinités des enfers aux cheveux de serpents 34 35
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Les composantes de la narration TEXTE 1
TEXTE 2
Où et quand se passe l’histoire ?
Qu’est ce qui est décrit ?
Qui est le narrateur ?
Relevez les sentiments exprimés par le narrateur
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La description des monstres TEXTE 1
TEXTE 2
A quel monstre avons – nous affaire ? Les éléments qui le caractérisent
Pourquoi s’agit – il de descriptions fantastiques ? Expliquez
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SEQUENCE 3: Ah !!! Quel bouquet fantastique !!! Séance 5 : le fantastique au XXème siècle Comment a évolué le genre fantastique au XXème siècle ? Objectif : étudier une nouvelle fantastique contemporaine et étrangère Dominante Supports Savoir Savoir-faire LM Le jeu du bouton de fantastique autonomie Matheson Tps : 1H 1. Citez deux éléments qui contribuent aux effets de réel. On peut relever l’’adresse du couple à New York et la vie quotidienne d’un couple de citadins ponctuée par les horaires de travail et les repas. 2. Quel élément déclenche l’intrigue ? Précisez les conditions liées à la proposition du démarcheur. La visite d’un démarcheur qui propose un gadget, une boite à bouton. Si quelqu’un appuie sur le bouton, une personne inconnue du manipulateur meurt quelque part dans le monde et une somme de 50000 dollars est ainsi gagnée. 3. Quelles sont les réactions d’Arthur et de Norma Lewis ? On notera les deux points de vue. Arthur pense d’abord à une farce et déchire la carte et marque sa désapprobation : il est « choqué » ; il considère que c’est immoral 117 Norma s’intéresse à la rentabilité de l’objet, elle manifeste à plusieurs reprises sa curiosité. C’est elle qui récupère la carte et rappelle Steward. 4. Comment interpréter le phénomène étrange ? L’interprétation rationnelle de la coïncidence existe mais elle est limitée par la fin de la nouvelle où Mr Steward confirme le caractère surnaturel de la boite, examinée sous toutes les coutures par Norma. L’organisation de Mr Steward d’envergure internationale, aurait des pouvoirs magiques, explications surnaturelles qui semblent clore le récit. 5. Comment comprenez-vous la fin de la nouvelle et les paroles de Mr Steward ? « Etes vous sure que vous connaissiez votre mari ? » Cette fin met en évidence le fait que l’on peut vivre quotidiennement les uns près des autres sans se connaître vraiment, ce qui est également suggéré à travers la frustration de Norma au sujet des voyages et des enfants. Elle montre aussi le cynisme de Mr Steward qui joue sur les mots, ce qui participe d’un certain humour noir et donne au titre une dimension ironique : ce jeu est un jeu avec la mort. 6. Que critique l’auteur à travers cette nouvelle ? - Dimension critique de la nouvelle implicite de l’univers d’un couple d’Américain « plongé » dans la société de consommation et d’argent, la boite symbolisant la rentabilité. - Dimension symbolique de Norma ( Eve, mythologie , celle qui transgresse l’interdit et entraîné l’inévitable. 7. La pression sur le bouton provoque la mort de quelqu’un. Est-ce rationnel ou surnaturel ? Justifiez. 8. Le mari de Norma Lewis décède dans un accident. Est-ce rationnel ou surnaturel ? Justifiez. Au XXème siècle, le fantastique est toujours ancré dans la vie réelle. L’action est centrée sur les personnages, qui se retrouvent face à des faits inexpliqués et inexplicables. C’est plus psychologique, plus proche des récits angoissants propres à King ou à la science-fiction.
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Le paquet était déposé sur le seuil de l'appartement - un carton cubique clos par du ruban adhésif, portant leur nom et leur adresse en capitales écrites à la main : M.ET MME ARTHUR LEWIS, 217 37e RUE, NEW YORK, N.Y. 10016.Norma le ramassa, tourna la clé dans la serrure et entra. La nuit tombait. Après avoir mis les côtes d'agneau sur le grill, elle se servit un verre et s'assit pour défaire le paquet. Elle y trouva une petite boîte en bois munie d'un bouton de commande. Un capuchon en verre protégeait le bouton. Norma essaya de le soulever, mais il était solidement fixé. Elle retourna la boîte et vit une feuille de papier pliée scotchée au fond. Elle la détacha et lut : M. Steward se présentera chez vous à 8 heures du soir. Norma plaça la boîte à côté d'elle sur le canapé. Elle dégusta son apéritif et relut la note dactylographiée en souriant. Peu après, elle regagna la cuisine pour préparer la salade. La sonnette retentit à huit heures précises. «J'y vais», lança Norma depuis la cuisine. Arthur était en train de lire dans le salon. Un homme de petite taille se tenait clans le couloir. Il ôta sou chapeau. « Mme Lewis? s'enquit-il poliment. -Oui? -Je suis M. Steward. -Ah, oui.» Norma réprima un sourire. C'était bien ça ; un représentant qui allait lui débiter son boniment. «Puis-je entrer? -J'ai pus mal à taire, s'excusa Norma. Mais je vais vous rendre votre bidule.» Elle s'apprêta à tourner les talons. «Vous ne voulez pas savoir de quoi il s'agit? » Norma s'arrêta. Le ton de M. Steward l'avait choquée. «Non, je ne pense pas. - Pourtant, cela pourrait se révéler très utile. - Rentable ? » le défia-t-elle. M, Steward hocha la tête, « C'est cela même. Rentable.» Norma fronça les sourcils. L'attitude du visiteur lui déplaisait. « Qu’essayez-vous de vendre? - Rien du tout.» Arthur émergea du salon. « Un problème? M. Steward se présenta. «Ah, oui. le... » Arthur fit un geste en direction du salon et sourit. «Qu'est-ce que c'est que ce truc, au fait? - Ce ne sera pas long à expliquer. Je peux entrer? -Si c'est pour vendre quelque chose... » M. Steward secoua la tête. «Je ne vends rien. » Arthur regarda sa femme. «A toi de décider", dit-elle. Il hésita. Puis : «Bah, pourquoi pas? » Ils passèrent dans le salon et M. Steward prit place dans le fauteuil de Norma. Il plongea une main dans une poche intérieure et en relira une petite enveloppe cachetée. « Il y a là une clé permettant d'enlever le capuchon qui protège le boulon de sonnette.» Il posa l'enveloppe sur la petite table voisine. «Ce bouton est relié à notre bureau. - Pour quoi faire? demanda Arthur. - Si vous appuyez sur le bouton, quelque part dans le monde, quelqu'un que vous ne connaissez, pas mourra. Moyennant quoi vous recevrez cinquante mille dollars. » Les yeux écarquillés, Norma dévisagea le petit homme. Il souriait. 31
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«Qu'est-ce que c'est que celle histoire? »articula Arthur. L'autre eut l'air surpris. «Je viens de vous l'expliquer. - C'est une mauvaise, blague? - Absolument pas. C'est une offre tout ce qu'il y a de sérieux. -Mais ça n'a pas de sens! Vous voudriez nous faire croire... ? - Qui représentez-vous? » demanda Norma. M, Steward manifesta un certain embarras. « Je regrette, mais je n'ai pas le droit de vous le dire. Néanmoins, je vous assure que noire organisation est d'une envergure internationale. -Je pense que vous fériez bien de partir», dit Arthur en se levant. M. Steward l'imita. « Pas de problème. - Et de remporter votre truc. - Êtes-vous certain de ne pas vouloir vous accorder un jour ou deux pour réfléchir? » Arthur ramassa la boîte et l'enveloppe et les fourra dans les mains de M. Steward. Puis il se rendit dans le vestibule et ouvrit la porte. -Je vais vous laisser ma carte.» Et M. Steward de déposer le bristol sur le guéridon de l'entrée. Quand il fut sorti, Arthur déchira la carte en deux et jeta les morceaux sur la petite table. «Bon Dieu!» souffla-t-il. Norma était toujours assise sur le canapé. «Qu'est-ce que c'est que ce truc, à ton avis? - C'est le cadet de mes soucis. » Elle s'efforça de sourire, mais sans succès. «Ca ne t'inspire aucune curiosité? » Il secoua la tête. « Non. » Une fois qu'Arthur eut repris son livre, Norma retourna à la cuisine finir la vaisselle. « Pourquoi m ne veux pas en parler? » demanda-t-elle un peu plus tard. Arthur, qui se brossait les dents, leva les yeux et regarda le reflet de sa femme dans le miroir de la salle de bains. « Ça ne l'intrigue donc pas? -Ça me choque. -Je sais, mais... - Norma se plaça un bigoudi de plus dans les cheveux. "Ça ne t'intrigue pas quand même? » Et comme ils passaient dans leur chambre, elle ajouta : «Tu crois que c’est une mauvaise blague? - Si c'en est une, elle est vraiment sinistre. » Norma s'assit sur le lit et retira ses mules. «C'est peut-être une espèce de sondage d'opinion. » Arthur haussa les épaules. « Peut-être. - Ou alors l'idée de quelque milliardaire excentrique. -Peut-être. -Tu n'aimerais pas savoir? » Signe de dénégation d'Arthur. «Pourquoi ? - Parce que c'est immoral. » Norma se glissa sous les couvertures. « Eh bien, moi, je trouve qu'il y a de quoi être intrigué. » Arthur éteignit et se pencha pour l'embrasser. « Bonne nuit. » - Bonne nuit. » Elle lui tapota le dos. Norma ferma les yeux. Cinquante mille dollars, songeait-elle. Le lendemain, en quittant l'appartement, elle vit la carte déchirée sur le guéridon. Cédant à une impulsion, elle fourra les morceaux dans son sac. Puis elle ferma la porte à clé et rejoignit Arthur dans l'ascenseur. Elle profita de sa pause café pour récupérer les deux moitiés de bristol et en rapprocher les bords 32
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déchirés. Seuls le nom et le numéro de téléphone de M. Steward étaient imprimés .sur la carte. Après le déjeuner, elle en scotcha les deux moitiés. Pourquoi je fais ça? se demanda-t-elle. Peu avant cinq heures, elle composait le numéro. "Bonjour", modula la voix de M. Steward. Norma faillit raccrocher, mais elle se domina et s'éclaircit la voix. "Ici, Mme Lewis. - Oui, Mme Lewis. « Steward paraissait enchanté. « Je suis curieuse. -C'est tout naturel. - Non que je croie un mot de ce que vous nous avez raconté. - C'est pourtant la vérité. -Enfin, bref... » Norma déglutit. « Quand vous disiez que quelqu'un sur terre mourrait, qu'entendiezvous par là? -Cela même. Ça peut être n'importe qui. Tout ce que nous garantissons, c'est que c'est quelqu'un que vous ne connaîtrez pas. Et aussi, bien sûr, que vous n'aurez pas à assister à sa mort. - Pour cinquante mille dollars. -Exactement.» Elle eut un petit rire moqueur. « C'est complètement délirant. - Ce n'en est pas moins la proposition que nous vous faisons. Voulez-vous que je vous retourne la boîte? » Norma se raidit. « Certainement pas.» Elle raccrocha d'un geste rageur. Le paquet reposait devant la porte. Norma le vit en sortant de l'ascenseur. Quel toupet! songea-telle. Elle lança un regard noir au carton tout en tournant la clé dans la serrure. Elle entra et entreprit de préparer le dîner. Plus tard, son verre à la main, elle se rendit dans le vestibule. Entrebâillant la porte, elle ramassa le paquet, puis revint dans la cuisine, où elle le posa sur la table. Elle alla s'asseoir dans le salon pour y déguster son apéritif tout en regardant par la fenêtre. Un moment après, elle regagna la cuisine pour retourner les côtelettes. Elle rangea le paquet dans un bas de placard. Elle s'en débarrasserait dès le lendemain matin. -C'est peut-être un milliardaire qui cherche à s'amuser», dit-elle. Arthur leva les yeux de son assiette. «Je ne te comprends pas. - Qu'est-ce qu'il y a là-dessous? - Laisse tomber. » Norma se remit à manger en silence. Soudain, elle reposa sa fourchette. «Et si c'était une offre sérieuse? » Arthur la dévisagea. »Oui, si c'était une offre sérieuse? -Bon, admettons! » Il n'avait pas l'air d'y croire. «Que ferais-tu? Tu reprendrais cette boîte et appuierais sur le bouton? Pour assassiner quelqu'un? » Norma prit un air offusqué. « Assassiner! -Comment veux-tu appeler ça? - Mais si on ne connaît pas la personne? » Arthur en resta abasourdi. «Es-tu en train de dire ce que je crois comprendre ? -S'il s'agit d'un vieux paysan chinois à quinze mille kilomètres d'ici? D'un Congolais rongé par la maladie? -Pourquoi pas d'un bébé de Pennsylvanie? contra Arthur. Ou d'une adorable petite fille de l'immeuble d'à côté? - Là, tu pousses un peu. 33 -Comprends où je veux en venir, Norma. Peu importe de qui tu causes la mort. Ça reste un meurtre.
1. 2. 3. 4.
Citez deux éléments qui contribuent aux effets de réel. Quel élément déclenche l’intrigue ? Précisez les conditions liées à la proposition du démarcheur. Quelles sont les réactions d’Arthur et de Norma Lewis ? Comment interpréter le phénomène étrange ? Comment comprenez-vous la fin de la nouvelle et les paroles de Mr Steward ? « Etes vous sure que vous connaissiez votre mari ? » 5. Que critique l’auteur à travers cette nouvelle ? 6. La pression sur le bouton provoque la mort de quelqu’un. Est-ce rationnel ou surnaturel ? Justifiez. 7. Le mari de Norma Lewis décède dans un accident. Est-ce rationnel ou surnaturel ? Justifiez.
DM En respectant la définition de la nouvelle, inventez une nouvelle fantastique d’une cinquantaine de lignes Consignes à respecter : • Ancrer votre récit dans la réalité quotidienne et actuelle • Choisir un personnage marqué par la solitude et manifestant des tendances paranoïaques : attention, ne prendre aucun exemple de la classe. Il s’agit d’INVENTER… • Faire intervenir un ou plusieurs événements étranges • Utiliser la focalisation interne • Laisser subsister entre une explication rationnelle et une explication surnaturelle • Soigner la chute de l’histoire (voir le jeu du bouton) • Vous pouvez utiliser tous les ingrédients qui font le fantastique.
Barème : Respect de la longueur Respect de la nouvelle Récit Narration
Fantastique Personnage Présentation et orthographe
entre 45 et 55 lignes peu de personnages, peu d’actions, une seule intrigue, peu de lieux dans la réalité quotidienne et actuelle chute, focalisation interne, suspense, temps du récit… atmosphère, ingrédients dans la tradition des textes fantastiques Propre, peu de fautes, syntaxe correcte
2 pts 4 pts 2 pts 4 pts 4 pts 2 pts 2 pts
DM En respectant la définition de la nouvelle, inventez une nouvelle fantastique d’une cinquantaine de lignes Consignes à respecter : • Ancrer votre récit dans la réalité quotidienne et actuelle • Choisir un personnage marqué par la solitude et manifestant des tendances paranoïaques : attention, ne prendre aucun exemple de la classe. Il s’agit d’INVENTER… • Faire intervenir un ou plusieurs événements étranges • Utiliser la focalisation interne • Laisser subsister entre une explication rationnelle et une explication surnaturelle • Soigner la chute de l’histoire (voir le jeu du bouton) • Vous pouvez utiliser tous les ingrédients qui font le fantastique. Barème : Respect de la longueur Respect de la nouvelle
entre 45 et 55 lignes peu de personnages, peu d’actions, une seule intrigue, peu de lieux 34
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Récit Narration Fantastique Personnage Présentation et orthographe
dans la réalité quotidienne et actuelle chute, focalisation interne, suspense, temps du récit… atmosphère, ingrédients dans la tradition des textes fantastiques Propre, peu de fautes, syntaxe correcte
2 pts 4 pts 4 pts 2 pts 2 pts
SEQUENCE 3: Ah !!! Quel bouquet fantastique !!! Séance 6 : Fantasy ou Fantastique Comment différencier le genre fantastique de la Fantasy ? Objectif : différencier deux genres littéraires proches Dominante Supports Savoir LM MOORCOCK, Elric le Fantasy Nécromancien Tps : 1H Paille humide de Matheson
Savoir-faire Grille d’analyse
Lire les deux textes Faire un tableau pour présenter les deux genres : points communs et divergences
Epoque et lieu de narration narrateur
Texte 1 Un empire lointain, dans le temps et dans l’espace Il, troisième personne, narrateur neutre Focalisation zéro
Eléments réels
aucun
Eléments étranges et fantastiques
Seigneurs anciens Sorcellerie Royaumes lointains mais qui ont une histoire ancienne riche : Inde, Chine… Référence à l’antique Melniboné
Champs lexicaux
Tout ce qui relève des temps anciens, de l’antiquité Provoquer le rêve, mythe
Visée et but
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Texte 2 Une grange au XXème siècle, aux USA. Narrateur interne, je, le narrateur est un personnage, il vit ce qu’il raconte, il est témoin Focalisation interne La grange La logeuse Le corps sans tête La voix, les sensations qu’il a dès qu’il met la tête sous la couverture L’expérience impossible : sa femme morte qui l’attire dans le monde des morts, alors qu’il est vivant. Les qualificatifs pour la femme : froide… Tout ce qui relève du surnaturel Provoquer la peur, l’angoisse, sang, cadavre Provoquer la vengeance : il aurait tué sa femme ?
Texte 1 : un extrait de Fantasy 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21
Dix mille années le Glorieux Empire de Melniboné régna sur le monde. Dix mille années avant que l'on écrive l'histoire ; dix mille années après les dernières chroniques. Tout ce temps, quel qu'en soit le compte, le Glorieux Empire prospéra. Si vous voulez garder vos espérances, pensez au terrifiant passé de notre planète ou bien songez à l'avenir qui nous attend. Mais si vous acceptez de croire en l'affreuse vérité : le Temps est la mort du Présent et toujours il en sera ainsi. Finalement, ravagée par l'épouvante uniforme du Temps, Melniboné tomba, d'autres nations lui succédèrent : Ilmiora, Sheegoth, Maidahk, S'aaleem. Puis vint l'Histoire : l'Inde, la Chine, l'Egypte, l'Assyrie, la Perse, la Grèce et Rome ; mais de ces nations, pas une ne dura dix mille années. Et pas une ne connut les terribles mystères et les sorcelleries secrètes de l'antique Melniboné. Pas une n'eut accès à de tels pouvoirs. Seule Melniboné domina la Terre pendant cent siècles - puis s'effondra, elle aussi, ébranlée par un Verbe redoutable, sous l'assaut des Puissances surnaturelles qui décidèrent qu'elle avait outrepassé le temps qui lui avait été imparti, et ses fils furent éparpillés sur la face de la Terre. Et ils furent vagabonds, craints et haïs par les hommes, eurent peu d'enfants, s'éteignirent lentement, et lentement oublièrent les secrets de leurs puissants ancêtres. L'un d'eux fut le cynique et rieur Elric, à l'humeur sombre, à l'humour fracassant ; orgueilleux Prince des ruines, Seigneur d'un peuple errant et humilié, dernier chaînon de la lignée royale de Melniboné. Elric, le vagabond au regard songeur, homme seul en face d'un monde, vivant d'expédients et de son épée runique Stormbringer. Elric, dernier seigneur de Melniboné, dernier adorateur de ses dieux grotesques et merveilleux. Elric, pillard sans scrupule, aventureux et insouciant, tueur cynique, homme déchiré par une douleur immense, portant le poids d'un savoir qui eût fait perdre la raison à tout autre. Elric, créateur de délires fous, se vautrant parfois dans des délices insensés... Michaël MOORCOCK, Elric le Nécromancien, 1977.
Texte 1 : un extrait de Fantasy 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19
Dix mille années le Glorieux Empire de Melniboné régna sur le monde. Dix mille années avant que l'on écrive l'histoire ; dix mille années après les dernières chroniques. Tout ce temps, quel qu'en soit le compte, le Glorieux Empire prospéra. Si vous voulez garder vos espérances, pensez au terrifiant passé de notre planète ou bien songez à l'avenir qui nous attend. Mais si vous acceptez de croire en l'affreuse vérité : le Temps est la mort du Présent et toujours il en sera ainsi. Finalement, ravagée par l'épouvante uniforme du Temps, Melniboné tomba, d'autres nations lui succédèrent : Ilmiora, Sheegoth, Maidahk, S'aaleem. Puis vint l'Histoire : l'Inde, la Chine, l'Egypte, l'Assyrie, la Perse, la Grèce et Rome ; mais de ces nations, pas une ne dura dix mille années. Et pas une ne connut les terribles mystères et les sorcelleries secrètes de l'antique Melniboné. Pas une n'eut accès à de tels pouvoirs. Seule Melniboné domina la Terre pendant cent siècles - puis s'effondra, elle aussi, ébranlée par un Verbe redoutable, sous l'assaut des Puissances surnaturelles qui décidèrent qu'elle avait outrepassé le temps qui lui avait été imparti, et ses fils furent éparpillés sur la face de la Terre. Et ils furent vagabonds, craints et haïs par les hommes, eurent peu d'enfants, s'éteignirent lentement, et lentement oublièrent les secrets de leurs puissants ancêtres. L'un d'eux fut le cynique et rieur Elric, à l'humeur sombre, à l'humour fracassant ; orgueilleux Prince des ruines, Seigneur d'un peuple errant et humilié, dernier chaînon de la lignée royale de Melniboné. Elric, le vagabond au regard songeur, homme seul en face d'un monde, vivant d'expédients et de son épée runique Stormbringer. Elric, dernier seigneur de Melniboné, dernier adorateur de ses dieux grotesques et merveilleux. Elric, pillard sans scrupule, aventureux et insouciant, tueur cynique, homme déchiré par une douleur immense, portant le poids
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d'un savoir qui eût fait perdre la raison à tout autre. Elric, créateur de délires fous, se vautrant parfois dans des délices insensés... Michaël MOORCOCK, Elric le Nécromancien, 1977.
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Texte 2 : un extrait fantastique 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 26 27 28 29 30 31 32 33 34
« C'était une expérience vraiment terrifiante qu'il avait connue là. La paille humide et les ténèbres, les souris et la pluie, le froid à glacer les os. Il prit sa décision. Le soir, il éteignit de bonne heure et s'agenouilla près du lit. Il se contenta de mettre sa tête sous les couvertures. Si les choses tournaient mal, il n'aurait qu'à la retirer au plus vite, Il attendit. Bientôt, il sentit l'odeur de la paille et entendit la pluie. Il chercha sa femme des yeux. Prononça doucement son nom. Un bruissement. Une main tiède lui caressa la joue. Dans un premier temps, il sursauta. Puis il sourit. Le visage de sa femme lui apparut et elle posa sa joue contre la sienne. Le parfum de ses cheveux était grisant. Des mots lui emplirent l'esprit. John. Nous ne faisons toujours qu'un. Promis ? Jamais de séparation? Si l'un de nom meurt, l'autre attendra? Si je meurs, tu attendras et je trouverai un moyen de te rejoindre? Oui, je viendrai à toi et t'emmènerai avec moi. Et voilà que je suis partie. Tu as préparé ce breuvage et je sais morte. Et tu as ouvert la fenêtre pour laisser entrer la brise, Et maintenant je suis de retour Il se mit à trembler. La voix se fît plus âpre, il perçut un grincement de dents, un souffle qui s'accélérait. Elle lui toucha le visage du bout des doigts. Les lui passa dans les cheveux et lui caressa le cou. Il commença à gémir. Lui demanda de le lâcher. Pas de réponse. Elle respirait toujours plus vite. Il tenta de se dégager. Tâta du pied le plancher de sa chambre. Déploya tout ce qu'il avait de force pour retirer sa tête de sous la couverture. Mais quelle puissance dans l'étreinte qui s'exerçait sur lui! Elle entreprit de l'embrasser sur la bouche. Ses lèvres étaient froides, ses yeux grands ouverts. Il se noyait dans son regard tandis que leurs souffles se mêlaient. Puis elle rejeta la tête en arrière, et voilà qu'elle riait tandis que les éclairs zébraient la fenêtre. La pluie grondait sur le toit, les souris couinaient, le cheval piaffait et faisait vibrer toute la grange. Elle referma les doigts sur son cou. Il tira clé toutes ses forces, les dents serrées, et s'arracha à son étreinte. Il éprouva une douleur subi te et roula sur le plancher. Quand sa logeuse vint faire le ménage deux jours plus tard, il n'avait pas changé de position. Les bras en croix, il gisait dans une mare de sang séché, rigide et froid. Sa tête devait rester introuvable. » R. Matheson, Paille humide
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SEQUENCE 3 : Ah !!! Quel bouquet fantastique !!! Séance 7 : Science Fiction ou Fantastique ? Comment différencier le genre fantastique de la SF ? Objectif : différencier deux genres littéraires proches Dominante Supports Savoir LM Frédéric Brown, Du sang SF Tps : 1H
Savoir-faire lm
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Qu’est-ce qu’un vampire ? Une créature imaginaire, très présente dans la littérature fantastique, souvent effrayante. Première apparition avec Bram Stocker Dracula. Un vampire est immortel s’il se nourrit de sang humain. Autre roman traitant des vampires, Entretien avec un vampire, Anne Rice. Donc, la présence d’un vampire peut nous faire croire que nous sommes en présence d’un texte fantastique. 2. Où se passe l’histoire racontée dans ce texte ? Dans la machine à remonter le temps (l1). 3. A quelle époque se passe le début de l’histoire ? Le début de l’histoire se passe au XXII ème siècle (l4). 4. Qui sont les héros ? Vron et Dreena, deux vampires. (l1). 5. Faites un résumé de cette histoire. Deux vampires, Vron et Dreena, tentent d’échapper à l’extermination de leur race en voyageant vers le futur. 6. Mettre sur la flèche, les différents évènements de l’histoire en suivant la chronologie.
7. Quel est l’événement qui a transformé la vie des deux vampires ? La découverte de leur existence par les humains (l4). 8. Du début jusqu’à la fin de leur voyage, combien de péripéties ont-ils traversées ? 4 péripéties (l13) et une dernière en arrivant (l19). 9. Quel est leur avenir à la fin de l’histoire ? Pourquoi ? Ils n’ont pas d’avenir car il ne reste que les végétaux (l32). Un vampire a besoin de sang pour survivre. 10. Quels évènements sont passés sous silence ? Les trois premiers arrêts des vampires durant leur voyage. 11. Citer un événement résumé. La fin de la race humaine et la domination des chiens. (l15-l16). 12. Combien de temps se passe-t-il entre les lignes 18 et 19 ? Un demi-million d’années. L’auteur du récit joue avec le temps, selon son objectif : accélérer le rythme du récit, émouvoir, tenir le lecteur ou son auditoire en haleine. Il rédige une scène lorsqu’il détaille certains faits, qu’il intègre des dialogues. Il rédige un sommaire lorsqu’il choisit de résumer une suite d’évènements. Il interrompt son récit par une ellipse lorsqu’il choisit de passer sous silence des faits, une période ou par des pauses dans la narration : descriptions, commentaires. La science-fiction se différencie du fantastique : elle est rationnelle, explicable, mais pas encore réalisable vu l’état des sciences et des technologies. Elle imagine que se passe-t-il SI ? Ses domaines de prédilection sont : les voyages dans le temps, l’exploration spatiale, les robots, les ET, les univers parallèles, les modifications humaines par clonage, gènes, implants ou eugénisme (amélioration des caractères humains de façon délibéré).
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Du sang. « Dans leur machine à voyager à travers le temps, Vron et Dreena, les deux derniers survivants de la race des vampires fuyaient vers le futur pour échapper à l’anéantissement. Ils se tenaient les mains pour se réconforter mutuellement. Ils avaient peur et ils avaient faim. Au XXIIème siècle, l’humanité avait démasqué les leurs ; elle avait découvert que la légende des vampires vivant secrètement parmi les humains n’était pas le moins du monde une légende mais l’expression de la réalité. Il s’en était suivi une extermination en masse qui n’avait épargné que ce couple. Tous deux travaillaient à inventer une machine à voyager dans le temps, et ils l’avaient terminée juste assez tôt pour pouvoir s’échapper grâce à elle. S’échapper en direction du futur assez loin pour que le mot même de vampire fût oublié, pour pouvoir vivre de nouveau insoupçonnés - et être la souche qui régénérerait leur race. - J’ai faim Vron. Comme j’ai faim ! - Moi aussi, Dreena, mon amour. Bientôt nous nous arrêterons. Quatre fois déjà ils s’étaient arrêtés et à chacune d’entre elles il avaient échappé de justesse à la mort. Ils n’étaient pas encore oubliés. La quatrième, un demi-million d’années en arrière, leur avait montré un monde livré aux chiens - au sens littéral ; les humains s’étaient éteints et les chiens civilisés et humanisés. Et là encore on les avait reconnus pour ce qu’ils étaient. Ils avaient tenté malgré tout de satisfaire leur faim dévorante sur le sang d’une petite fille chien, mais ils avaient été pris en chasse par une meute hurlante et n’avaient eu que le temps de fuir avec leur machine. -Merci de t’arrêter, fit Dreena qui poussa un soupir. - Ne me remercie pas, dit Vron sombrement. Nous sommes à bout de course. Nous n’avons plus de combustible et nous ne trouverons personne ici. La radioactivité y règne. Ils sortirent. - Regarde ! s’exclama Dreena avec excitation, en montrant du doigt quelque chose qui s’avançait vers eux. Une créature nouvelle : Les chiens ont disparu et une autre race a pris leur place. Et sûrement maintenant nous sommes oubliés. La créature qui s’approchait était télépathe. - J’entends vos pensées, fit une voix à l’intérieur de leurs cerveaux. Vous vous demandez si nous connaissons les êtres appelés « vampires », quels qu’ils puissent être. Et bien, nous ne les connaissons pas. Dreena agrippa le bras de Vron avec un frisson d’extase. - La liberté ! murmura-t-elle avidement. Et de quoi se nourrir ! Vous vous interrogez également, continua la voix, sur mon origine et mon évolution. Toute vie est aujourd’hui végétale. Moi… (il s’inclina vers eux) moi, membre de la race dominante, je suis ce qu’autrefois vous appeliez un navet. » Frédéric Brown, Du sang. 1. Où se passe l’histoire racontée dans ce texte ? 2. A quelle époque se passe le début de l’histoire ? 3. Qui sont les héros ? 4. Faites un résumé de cette histoire. 5. Mettre sur la flèche, les différents évènements de l’histoire en suivant la chronologie. 6. Quel est l’événement qui a transformé la vie des deux vampires ? 7. Du début jusqu’à la fin de leur voyage, combien de péripéties ont-ils traversées ? 8. Quel est leur avenir à la fin de l’histoire ? Pourquoi ?
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SEQUENCE 3 : Ah !!! Quel bouquet fantastique !!! Séance 8 : bilan : une grille du fantastique En reprenant toutes les séances de ce chapitre, proposez une grille d’analyse pour identifier points communs et différences du fantastique, Fantasy et SF. Le fantastique intrusion brutale du mystère dans le cadre de la vie réelle. C’est le domaine de l’inexplicable, de l’irrationnel, de l’irréel
La Fantasy Introduction de merveilleux, de magie, de mondes mythiques
La science fiction Se veut rationnelle et ne relève pas du surnaturel. Genre qui émet des hypothèses sur ce que pourrait être le futur et/ou les univers inconnus en partant des connaissances actuelles. C’est rationnel mais irréalisable pour le moment
Thèmes propres
Diables Fantômes Monstres Vampires Atmosphère d’horreur
Les mythes Les mondes parallèles ou lointains, oubliés, avec des créatures imaginaires
Age d’or Evolution dans le temps
XIX et XX Au XIX : solitude, folie, du personnage, hanté ou horrifié. Monstres, fantômes, disparition de la frontière entre rêve et réalité, incertitude entre la vie et la mort, vie dans les objets inanimés…
Après 1970 Influence surtout anglosaxonne Fort développement au cinéma depuis les années 2000 (le monde de Narmia par exemple) Créer de l’imaginaire, refaire vivre des éléments du passé, réels ou inventés, qui ne peuvent vivre que dans leur monde. Tolkien
Voyage dans le temps Exploration spatiale Extra-terrestres Robots Réflexion politique (1984 de Orwell, Fahrenheit 451) Les univers parallèles Les modifications humaines : clonage, gènes, implants, invisibilité, eugénisme ou amélioration des caractères humains de façon délibérée. Depuis 1950 Influence en fonction des découvertes scientifiques, donc soit dans le domaine spatial (année 60-70 avec la Lune et l’homme) soit dans le domaine de la recherche médicale (depuis les années 80)
Définition
Visée but
et
exemples
Au XXème : fantastique plus horrible, grotesque ou absurde (mutation de l’homme comme dans la Métamorphose de Kafka.) Provoquer la peur et l’angoisse Faire vivre le Mal, souffrance, échec, folie Montrer une persistance de la société passée, superstitieuse, face à une société plus moderne, plus rationnelle.
Maupassant, Nerval, Villiers d’Adam, Matheson, Lovencraft, E. Allan Poe…
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Imaginer le monde futur : que se passe-t-il SI ????
Langelaan : la Mouche Bradbury : les Martiens Wells : la machine à explorer le temps Verne, La planète des singes, 1984 d’Orwell, Farhenheit 451…
EVALUATION DE LECTURE
Temps : 1 H Travail seul, en silence Vous veillerez à la propreté de votre copie et à l’orthographe. Au cours d’une soirée, le jeune baron Xavier de la V raconte une aventure étonnante qu’il a vécue. Très déprimé par son existence parisienne, il est parti se reposer en Bretagne, chez un de ses amis, l’abbé Maucombe .Il passe la première nuit dans le presbytère. 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 26 27 28 29 30 31 32 33 34
« Trois petits coups secs, impératifs, furent frappés à ma porte. - Hein me dis – je, en sursaut. Alors je m’aperçus que mon premier somme avait déjà commencé. J’ignorais où j’étais .Je me croyais à Paris. Certains repos donnent des sortes d’oublis risibles. Ayant même, presque aussitôt, perdu de vue la cause principale de mon réveil, je m’étirai voluptueusement, dans une complète inconscience de la situation. - A propos, me dis – je tout à coup ; mais on a frappé ? – Quelle visite peut bien… ? A ce point de ma phrase, une notion confuse et obscure que je n’étais plus à Paris, mais dans un presbytère de Bretagne, chez l’abbé Maucombe, me vint à l’esprit. En un clin d’œil, je fus au milieu de la chambre. Ma première impression, en même temps que celle du froid aux pieds, fut celle d’une vive lumière. La pleine lune brillait en face de la fenêtre, au dessus de l’église, et, à travers les rideaux blancs, découpait son angle de flamme déserte et pâle sur le parquet. Il était bien minuit .Mes idées étaient morbides. Qu’était – ce donc ? L’ombre était extraordinaire. Comme je m’approchais de la porte, une tache de braise, partie du trou de la serrure, vint errer sur ma main et sur ma manche. Il y avait quelqu’un derrière la porte : on avait réellement frappé. Cependant à deux pas du loquet, je m’arrêtai court. Une chose me paraissait surprenante : la nature de la tache qui courait sur ma main. C’était une lueur glacée, sanglante, n’éclairant pas. - D’autre part, comment se faisait – il que je ne voyais aucune ligne de lumière sous la porte, dans le corridor ? Mais en vérité, ce qui sortait ainsi du trou de la serrure me causait l’impression du regard phosphorique d’un hibou ! En ca moment, l’heure sonna, dehors, à l’église, dans le vent nocturne. - Qui est là ? demandai – je à voix basse. - La lueur s’éteignit : j’allais m’approcher… Mais la porte s’ouvrit largement, lentement, silencieusement. En face de moi, dans le corridor, se tenait, debout, une forme haute noire – un prêtre, le tricorne sur la tête .La lune l’éclairait tout entier, à l’exception de la figure : je ne voyais que le feu de ses deux prunelles qui me considéraient avec une solennelle fixité. Le souffle de l’autre monde enveloppait ce visiteur, son attitude m’oppressait l’âme. Paralysé par une frayeur qui s’enfla instantanément jusqu’au paroxysme, je contemplai le désolant personnage en silence. 42
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Tout à coup, le prêtre éleva le bras, avec lenteur, vers moi. Il me présentait une chose lourde et vague .C’était un manteau noir, un manteau de voyage .Il me le tendait, comme pour me l’offrir… ! Je fermai les yeux pour ne pas voir cela. Oh ! je ne voulais pas voir cela !Mais un oiseau de nuit, avec un cri affreux passa entre nous, et le vent de ses ailes, m’effleurant les paupières, me les fit rouvrir .Je sentis qu’il voletait par la chambre. » Villiers de L’Isle Adam l’intersigne Contes cruels
Vocabulaire : Tricorne : chapeau à trois bouts Paroxysme : point le plus haut Phosphorique : très lumineux, fluorescent Presbytère : maison à coté d’une église où vit le prêtre Corridor : vestibule, hall d’entrée Loquet : partie d’une serrure qui sert à fermer la porte.
1Prouvez en relevant trois indices que ce texte est une nouvelle fantastique. ( 3 pts) 2 Montrez que le narrateur doute de l’événement qui est en train de se produire entre la ligne 1 et la ligne 28.( 4 pts) 3Qui est le personnage présent dans le corridor ? Comment est – il décrit ? Relevez des expressions et expliquez.( 4 pts) 4 Quels sont les trois sentiments éprouvés par le narrateur du début à la fin de son histoire. Citez les et justifiez par des éléments prélevés dans le texte.( 6 pts) 5 Donnez une définition de la nouvelle fantastique en vous appuyant sur tous les éléments que vous venez de trouver.( 2 pts)
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Correction EVALUATION DE LECTURE
Temps : 1 H Travail seul, en silence Vous veillerez à la propreté de votre copie et à l’orthographe. Au cours d’une soirée, le jeune baron Xavier de la V raconte une aventure étonnante qu’il a vécue. Très déprimé par son existence parisienne, il est parti se reposer en Bretagne, chez un de ses amis, l’abbé Maucombe .Il passe la première nuit dans le presbytère. 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 26 27 28 29 30 31 32 33 34
« Trois petits coups secs, impératifs, furent frappés à ma porte. - Hein me dis – je, en sursaut. Alors je m’aperçus que mon premier somme avait déjà commencé. J’ignorais où j’étais. Je me croyais à Paris. Certains repos donnent des sortes d’oublis risibles. Ayant même, presque aussitôt, perdu de vue la cause principale de mon réveil, je m’étirai voluptueusement, dans une complète inconscience de la situation. - A propos, me dis – je tout à coup ; mais on a frappé ? – Quelle visite peut bien… ? A ce point de ma phrase, une notion confuse et obscure que je n’étais plus à Paris, mais dans un presbytère de Bretagne, chez l’abbé Maucombe, me vint à l’esprit. En un clin d’œil, je fus au milieu de la chambre. Ma première impression, en même temps que celle du froid aux pieds, fut celle d’une vive lumière. La pleine lune brillait en face de la fenêtre, au dessus de l’église, et, à travers les rideaux blancs, découpait son angle de flamme déserte et pâle sur le parquet. Il était bien minuit. Mes idées étaient morbides. Qu’était – ce donc ? L’ombre était extraordinaire. Comme je m’approchais de la porte, une tache de braise, partie du trou de la serrure, vint errer sur ma main et sur ma manche. Il y avait quelqu’un derrière la porte : on avait réellement frappé. Cependant à deux pas du loquet, je m’arrêtai court. Une chose me paraissait surprenante : la nature de la tache qui courait sur ma main. C’était une lueur glacée, sanglante, n’éclairant pas. D’autre part, comment se faisait – il que je ne voyais aucune ligne de lumière sous la porte, dans le corridor ? Mais en vérité, ce qui sortait ainsi du trou de la serrure me causait l’impression du regard phosphorique d’un hibou ! En ce moment, l’heure sonna, dehors, à l’église, dans le vent nocturne. - Qui est là ? demandai – je à voix basse. La lueur s’éteignit : j’allais m’approcher… Mais la porte s’ouvrit largement, lentement, silencieusement. En face de moi, dans le corridor, se tenait, debout, une forme haute noire – un prêtre, le tricorne sur la tête .La lune l’éclairait tout entier, à l’exception de la figure : je ne voyais que le feu de ses deux prunelles qui me considéraient avec une solennelle fixité. Le souffle de l’autre monde enveloppait ce visiteur, son attitude m’oppressait l’âme. Paralysé par une frayeur qui s’enfla instantanément jusqu’au paroxysme, je contemplai 44
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le désolant personnage en silence. Tout à coup, le prêtre éleva le bras, avec lenteur, vers moi. Il me présentait une chose lourde et vague .C’était un manteau noir, un manteau de voyage . Il me le tendait, comme pour me l’offrir… ! Je fermai les yeux pour ne pas voir cela. Oh ! je ne voulais pas voir cela ! Mais un oiseau de nuit, avec un cri affreux passa entre nous, et le vent de ses ailes, m’effleurant les paupières, me les fit rouvrir .Je sentis qu’il voletait par la chambre. » Villiers de L’Isle Adam l’intersigne Contes cruels
Vocabulaire : Tricorne : chapeau à trois bouts Paroxysme : point le plus haut Phosphorique : très lumineux, fluorescent Presbytère : maison à coté d’une église où vit le prêtre
Corridor : vestibule, hall d’entrée Loquet : partie d’une serrure qui sert à fermer la porte.
1Prouvez en relevant trois indices que ce texte est une nouvelle fantastique. ( 3 pts) 1 pt pour NUIT : Cela se passe la nuit, avec des hiboux, des cris 1 pt pour MANOIR : dans un manoir, le cadre est réaliste, il est dans sa chambre, 1 pt pour ambiance étrange : des faits inexplicables viennent le troubler. 2 Montrez que le narrateur doute de l’événement qui est en train de se produire entre la ligne 1 et la ligne 28. (4 pts) 2 pts pour : Le réveil : il est confus, ne sait plus où il est, c’est en pleine nuit, réveil suite à un bruit, contraste entre la nuit noire et la lumière blanche. 2 pts pour le voc : inconscience, croyait, qu’était-ce donc…, pour l’essai de réflexion du narrateur 3Qui est le personnage présent dans le corridor ? Comment est – il décrit ? Relevez des expressions et expliquez.( 4 pts) Prêtre et description : 2 pts Relevé et explication : 2 pts 4 Quels sont les trois sentiments éprouvés par le narrateur du début à la fin de son histoire. Citez-les et justifiez par des éléments prélevés dans le texte. ( 6 pts) 2 pts Au début, il est surpris, pas encore effrayé 2 pts Il commence à stresser, angoisser, il a froid, pense à du morbide 2 pts Il est effrayé à la fin du texte, à partir ligne 31
5 Donnez une définition de la nouvelle fantastique en vous appuyant sur tous les éléments que vous venez de trouver. ( 2 pts) Nouvelle fantastique : texte court, complet, avec peu de personnages et peu d’intrigues, dans lequel le fantastique domine : apparition de faits étranges et inexpliqués dans la vie réaliste.
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